Page:Vianey - Les Sources de Leconte de Lisle, 1907.djvu/383

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n’est plus, on le voit, l’amant d’Eurydice : c’est l’homme qui a hérité de la flamme ravie par Prométhée. Penseur, il meurt victime du fanatisme religieux. Le dieu au nom duquel on l’immole est pourtant Iakkhos, le dieu des mystères orphiques, le dieu qui a dompté les panthères et découvert la vigne, c’est-à-dire un dieu qui est un bienfaiteur de l’humanité. Mais ce dieu se plaît aux furies des Ménades, ce qui signifie, à n’en point douter, dans la pensée de Leconte de Lisle, que la religion la mieux intentionnée est incapable de s’affranchir des folies du fanatisme.

Au retour de l’aurore, Orphée quitte l’antre de Khirôn et descend de la montagne. Les pasteurs regagnaient leurs vallées, les laveuses leurs rivières, les moissonneuses leurs champs de blé. À la vue de l’étranger, tous s’arrêtent, saisis d’un religieux respect. Lui-même s’arrête pour les saluer. Il ne leur dit qu’un mot et disparaît ; mais la voix sublime, entendue une seule fois, ne quitte plus leur souvenir.

Qu’est-ce à dire, sinon que le mot jeté par le penseur, qui avait recueilli les secrets du passé des lèvres de Khirôn, le vieux révolté, ne devait pas être perdu pour la foule, mais devait germer plus tard[1] ?


  1. Quand il a imaginé cette rencontre d’Orphée avec le vieux Khirôn, dépositaire des secrets du passé, Leconte de Lisle s’est certainement inspiré du Récit qui sert de prologue à la Chute d’un Ange. On sait que s’il aimait peu les autres œuvres de Lamartine, il avait la plus profonde admiration pour la Chute d’un Ange, où il trouvait « les conceptions les plus hardies, les images les plus éclatantes, les vers les plus mâles, le sentiment le plus large de la nature extérieure. »