Page:Vianey - Les Sources de Leconte de Lisle, 1907.djvu/83

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tant plus amère leur tristesse, parce qu’une plainte est au fond de la rumeur des nuits.

Mais la blanche déesse Ganga, assise sous l’onde, les a entendus. À demi voilée d’un bleuâtre éventail, avec des bracelets de corail et de perle, son beau corps diaphane et frais, ses cheveux divins ornés de nymphéas, elle leur apparaît, elle les interroge, elle leur promet de tarir leurs larmes. Alors, ils saluent la Vierge aux beaux yeux et lui content leur chagrin. — L’amour, dit Maitreya, m’a versé sa funeste ivresse : ô Vierge, brise en moi les liens de la chair. — Je ne puis oublier, dit Narada, le dernier baiser que me donna ma mère : ô Vierge, efface en moi ce souvenir cruel. — Et Angira, plus découragé que les autres : Ô déesse, dit-il, mon malheur est plus fort que ta pitié ; le doute infini me tourmente ; qui me dira, ô Vierge, l’origine, la fin et les formes de l’Être ?

Sous un rayon de lune, ainsi parlent tour à tour les trois sages. Ganga leur indique le chemin du mont Kaîlaça. À sa cime ils trouveront la fin de leurs tourments, car ils y trouveront Bhagavat :


Là, sous le dôme épais des feuillages pourprés,
Parmi les kokilas et les paons diaprés,
Réside Bhagavat dont la face illumine.
Son sourire est Mâyâ, l’Illusion divine ;
Sur son ventre d’azur roulent les grandes Eaux ;
La charpente des monts est faite de ses os.
Les fleuves ont germé dans ses veines, sa tête
Enferme les Védas ; son souffle est la tempête ;
Sa marche est à la fois le temps et l’action ;
Son coup d’œil éternel est la création,
Et le vaste Univers forme son corps solide.