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LIVRE II. — CHAPITRE II.

fortune le lui permettait ; les mœurs de son temps l’y invitaient et sa morale ne le lui interdisait pas. C’était assez peut-être pour donner prise à la malignité et à l’envie. Mais Plutarque, qui parle souvent de lui, ne lui adresse aucun reproche de ce genre ; il cite des mots ou des actions qui donnent de lui une tout autre idée. Et nous avons, pour nous éclairer sur ce point, un témoignage précieux, celui d’un adversaire, du stoïcien Cléanthe. Quelqu’un accusait devant lui Arcésilas de ne pas vivre honnêtement : « Tais-toi, dit Cléanthe[1] ; si dans ses discours il supprime le devoir, il le rétablit dans ses actions. » C’est Arcésilas encore qui, voulant expliquer pourquoi on quitte quelquefois les autres sectes pour celle d’Épicure, mais jamais celle d’Épicure pour les autres, disait[2] : « C’est que des hommes on fait des eunuques, mais avec des eunuques on ne fait pas des hommes. »

Nous avons sur le caractère d’Arcésilas des renseignements qui lui donnent une physionomie toute particulière. La plupart des philosophes de son temps étaient pauvres, ou même déguenillés, ce qui ôte un peu de leur valeur à leurs théories sur le mépris des richesses. Arcésilas, au contraire, était riche ; et pour l’honneur de la philosophie, on est heureux de voir qu’il sut, sans ostentation et sans faste, mais au contraire avec une aimable simplicité, faire de sa fortune le plus noble usage. Un des nombreux traits qui nous sont rapportés montre avec quelle bonne grâce et quelle exquise discrétion il répandait ses bienfaits. Il avait appris qu’Apelle de Chios était malade et se trouvait dans le plus complet dénuement ; il vint le voir, et lui dit : « On ne voit ici que les quatre éléments d’Empédocle, du feu, de l’eau, de la terre et de l’air. Et toi-même, tu n’es pas bien couché. » Puis arrangeant son coussin, il glissa dessous une bourse qui contenait vingt drachmes[3]. Sans doute, il était coutumier du fait ; car, quand la femme qui servait Apelle lui apprit sa

  1. Diog., VII, 171.
  2. Diog., IV, 43
  3. Plut., De adul. et amic., XXII, 63. Cf. Diog. IV, 37.