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LIVRE II. — CHAPITRE III.

du dogmatisme que du scepticisme ; il diffère des sceptiques par une nuance, des dogmatistes par un principe.

À la théorie de la connaissance telle qu’elle vient d’être exposée, se rattache la théorie de Carnéade sur le libre arbitre. Mais c’est seulement à propos de la divination que les arguments de Carnéade sur ce point nous sont indiqués par les témoignages. Nous les exposerons plus loin. Pour le moment, contentons-nous de remarquer le lien qui unit sa théorie sur le libre arbitre à celle de la connaissance. Si tous les événements du monde, disait-il[1], étaient étroitement enchaînés entre eux, la nécessité régnerait en maîtresse ; par suite, rien ne serait en notre pouvoir. L’argumentation de Carnéade repose donc tout entière sur ce point que quelque chose doit être en notre pouvoir ; et qu’est-ce qui est en notre pouvoir, sinon l’assentiment que nous donnons ou refusons à nos idées ? Il n’insiste pas ; il semble qu’il parle d’une vérité incontestée ; c’est qu’en effet les stoïciens ne le contredisaient pas. Pour tous les philosophes de ce temps, sceptiques ou dogmatiques, c’est une vérité incontestable que nous pouvons librement accorder ou refuser notre approbation. Carnéade fait seulement observer avec toute raison que les stoïciens se contredisent lorsque, après avoir reconnu la liberté de l’assentiment, ils proclament la nécessité universelle et absolue.


2o Contre les Dieux. On connaît la théorie stoïcienne, qui regarde l’univers comme un être vivant, doué de raison, infiniment sage et disposant tout en vue des fins les meilleures. En même temps qu’elle anime le monde entier et circule dans toutes ses parties, cette intelligence universelle prend conscience d’elle-même, elle se concentre dans une personne divine qu’on appelle Jupiter ou Dieu. Et comme ce Dieu se manifeste sous une multitude d’aspect différents, on peut lui donner autant de noms qu’il prend de formes diverses : ces noms sont ceux des divinités païennes, et les stoïciens se trouvaient ainsi d’accord avec la

  1. Cic. De Fato, XIV, 31. Cf. XI, 23.