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CARNÉADE. — SA VIE ET SA DOCTRINE.

posées, on peut concevoir que le souverain bien ou le devoir soit ou bien de les posséder, ou seulement de les poursuivre, dût-on ne pas les atteindre. Seulement les stoïciens sont les seuls qui aient considéré la poursuite des premiers avantages naturels comme bonne en elle-même, qu’elle aboutisse ou non à un heureux résultat ; jamais on n’a dit que ce fût un bien de poursuivre le plaisir ou l’absence de douleur, même sans y parvenir. Il reste donc, en fin de compte, quatre systèmes de morale possibles ; tous ceux qui ont été soutenus s’y ramènent, soit directement, soit indirectement, lorsqu’ils essaient de réunir plusieurs des principes indiqués.

Carnéade a-t-il pris parti pour une des théories morales qu’il a si nettement formulées ? Nous avons sur ce point des renseignements contradictoires.

Cicéron nous dit que Carnéade défendait l’opinion de Calliphon[1] avec tant d’ardeur qu’il semblait l’avoir faite sienne. Or, l’opinion de Calliphon[2] était que le bonheur exige deux conditions : le plaisir et l’honnête. Mais, dans d’autres passages plus nombreux, le même Cicéron oppose Carnéade à Calliphon[3] ; il va même jusqu’à le rapprocher d’Épicure[4].

Une autre doctrine positive est encore attribuée è Carnéade par Cicéron. Le seul vrai bien aurait été de rechercher les avantages natures sans se préoccuper de l’honnêteté[5]. Un témoignage de Varron[6], dont il ne faudrait pas exagérer l’importance, concorde avec cette assertion.

Mais, en même temps qu’il attribue cette doctrine à Car-

  1. Ac., II, xlv, 139 : « Ut Calliphontem sequar, cujus quidem aententiam Camesdes ita studiose defensitabat, ut eam probare etiam videretur. »
  2. Cic. Fin., V, viii, 21 ; V, xxv, 73 ; Tusc., V, xxx, 85.
  3. Fin., II, xi, 35.
  4. Tusc., V, xxxi, 87.
  5. Ac., II, xlii, 131 ; Fin., II, xi, 35 et 38 ; Tusc., V, xxx, 85.
  6. Reliq., Sesqueulixes, frag. XXIV, viii, 18, édit. Riese, p. 214. Leipsig, 1865 : « Unam viam Zenona incessisse, duce virtute, hanc esse nobilem, alteram Carneadem desubulasse, bona corporis secutum. » XXV, vii, 19 : « Alteram viam deformasse Carneadem. » Il s’agit seulement ici, on le voit, de la polémique de Carnéade contre le stoïcisme.