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ANTIOCHUS D’ASCALON.

que les unes se rapprochent de la vérité, que les autres s’en éloignent ? Elles sont toutes également suspectes. C’est se moquer de dire qu’en nous enlevant le moyen de connaître la vérité, on nous laisse la vérité elle-même. Dites à un aveugle qu’en lui ôtant la vue on ne lui a pas ôté ce qui peut être vu !

On commet la même erreur quand on reconnaît des choses évidentes (perspicua) mais qui ne sauraient être perçues. Comment dire qu’une chose est évidemment blanche, s’il peut arriver que le noir paraisse blanc ? Comment dire d’une chose qu’elle est évidente ou finement gravée dans l’esprit, quand on ne sait si, oui ou non, l’esprit en a reçu l’impression ?

Qu’est-ce donc que la probabilité ? Appellerez-vous probable la première impression qui s’offre à vous ? L’accueillerez-vous du premier coup ? Quoi de plus téméraire ? Ne l’admettrez-vous qu’avec circonspection et après un examen attentif ? Mais quand vous l’aurez retournée de toutes façons, vous dites qu’il pourra encore se faire qu’elle soit fausse : quelle confiance aurez-vous donc en elle ? Quoi de plus absurde que de dire : voici la marque, la preuve qui me fait admettre cette assertion ; il est bien possible pourtant qu’elle soit fausse.

Considérée dans la formule générale qui l’exprime, la thèse des nouveaux académiciens ne peut se soutenir : examinons à présent les arguments de détail qu’on invoque en sa faveur.

Avec les stoïciens, on distingue plusieurs sortes de représentations. Les divisions sont admirables : les définitions fines et exactes. Mais quoi ! n’est-ce pas là le langage d’hommes qui ont des opinions arrêtées ? Ces merveilleuses définitions, une fois formulées, peut-on les appliquer indifféremment à n’importe quoi ? Si oui, comment dire qu’elles sont justes ? Si non, il faudra bien convenir qu’il y a des objets auxquels seuls elles conviennent, et qu’on le sait. Et comment ne pas voir une contradiction éclatante entre ces deux propositions, expressément admises par les académiciens : Il y a des représentations fausses. Entre les représentations vraies et les fausses, il n’y a point de différence spécifique. En admettant la première, vous niez la