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ÆNÉSIDÈME. — SON SCEPTICISME.

Ils sont exposés, avec une extrême abondance d’exemples et de commentaires, par Sextus[1], et plus sobrement, mais presque dans les mêmes termes, par Diogène[2] : un passage[3] de ce dernier donne à penser qu’il avait sous les yeux le texte même d’Ænésidème ; nous empruntons à ces deux auteurs les éléments de notre résumé[4].


1o La diversité des animaux. — Il y a de nombreuses différences entre les animaux : tous ne naissent pas de la même manière, tous n’ont pas les mêmes organes. Or, on sait qu’une modification de l’organe, comme la jaunisse chez l’homme, ou l’action de se frotter les yeux, modifie la perception. Quand donc on voit des animaux qui ont une lueur dans les yeux ou la prunelle allongée, il faut admettre que leurs perceptions diffèrent des nôtres. On doit en dire autant des autres sens : le toucher n’est pas le même pour qui est revêtu d’une coquille, ou de plumes, ou d’écailles ; le goût pour qui a la langue sèche ou humide. L’observation atteste d’ailleurs cette diversité des perceptions : l’huile, qui est bonne aux hommes, tue les guêpes et les abeilles ; l’eau de mer est un poison pour l’homme s’il en use trop longtemps, elle est fort agréable aux poissons.

Dès lors, d’un objet connu par les sens, nous pourrons bien dire comment il nous apparaît, mais non pas ce qu’il est : car de quel droit supposer que nos perceptions sont plus conformes à la nature des choses que celles des animaux ?

D’ailleurs, les animaux ne sont pas aussi inférieurs à l’homme

  1. P., I, 36 et seq.
  2. IX, 79 et seq.
  3. IX, 78.
  4. Suivant Aristoclès (ap. Euseb. Præp. ev., XIV, XVIII, 11), Ænésidème n’aurait reconnu que neuf tropes. S’il fallait choisir entre le témoignage isolé d’Aristoclès et les témoignages concordants de Sextus et de Diogène, ces derniers devraient évidemment obtenir la préférence. Il est probable qu’une erreur a été commise soit par Aristoclès, soit par un copiste ; c’est aussi l’opinion de Zeller et de Hirzel (III, 114). Pappenheim (op. cit.) prend parti pour le texte d’Aristoclès : ses raisons ne nous ont pas paru décisives. Nous persistons à attribuer à Ænésidème les dix tropes, comme le fait Sextus, M., VII, 345 : καθάπερ ἐδείξαμεν τοὺς παρὰ τῷ Αἰνησιδήμῳ δέκα τρόπους ἐπιόντες.