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LIVRE III. — CHAPITRE III.

lampe. D*autre part, nous ne connaissons les choses que par l’intermédiaire de nos organes, nouveau mélange qui altère la perception. C’est pourquoi tout paraît pâle et blanchâtre à ceux qui ont la jaunisse. Nous ne pouvons pas plus séparer les choses de ce qui les entoure que nous ne distinguons l’huile dans un onguent. Mais ne pas les séparer, c’est ne pas les connaître en elles-mêmes.

7o  Les quantités ou compositions[1]. — Les choses changent d’aspect suivant qu’on les prend en plus ou moins grandes quantités. Considérez à part les raclures de cornes de chèvre : elles paraissent blanches ; regardez les cornes qui en sont formées : elles sont noires. Les grains de sable, séparés, paraissent raboteux ; dans le monceau, ils paraissent mous. Le vin fortifie si on en prend avec modération ; il affaiblit si on en abuse.

8o  La relation[2]. — Toute chose est relative à la fois aux autres choses avec lesquelles elle est perçue et à celui qui la perçoit. Une chose n’est pas à droite ou à gauche par elle-même, mais par rapport à une autre. Le jour est relatif au soleil. De même le haut est relatif au bas, le grand au petit, le père au fils. Rien n’est connu en soi-même.

9o  La fréquence et la rareté. — Une comète nous étonne parce qu’elle apparaît rarement ; le soleil nous effraierait si nous ne le voyions pas tous les jours. On ne s’inquiète plus des tremblements de terre une fois qu’on y est habitué. Ce ne sont donc pas les caractères des choses elles-mêmes qui décident de nos jugements, mais leur fréquence ou leur rareté : nouvelle preuve que nous n’atteignons que des apparences.

10o  Les coutumes, les lois, les opinions[3]. — Il ne s’agit plus ici des sensations, mais des croyances morales : elles varient à l’infini. Les Égyptiens embaument leurs morts, les Romains les

  1. Ce trope est le huitième chez Diogène.
  2. Dixième chez Diogène.
  3. Cinquième chez Diogène.