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LE SCEPTICISME. — PARTIE DESTRUCTIVE.

ne sachions : la chose signifiée est connue par elle-même, non par le signe.

Le même argument peut être présenté sous une forme plus saisissante. Il est impossible que le signe soit connu avant la chose signifiée, car en dehors de son rapport avec elle, il n’est pas un signe. Il ne peut pas non plus être connu en même temps qu’elle ; car étant connue, la chose signifiée n’a plus besoin de signe. Et il serait trop absurde de dire qu’il est connu après.

Le signe est-il connu par les sens, ou par la raison ? Les épicuriens tiennent pour la première opinion, les stoïciens pour la seconde. Mais comment justifier l’une ou l’autre ? Il faudrait une démonstration : mais la démonstration suppose qu’on connaît des signes ou des preuves, et c’est ce qui est en question.

Dira-t-on néanmoins que le signe est chose sensible ? Comment comprendre alors le désaccord des philosophes ? Il n’y a pas de désaccord sur les couleurs, sur les saveurs. Au contraire philosophes et médecins interprètent les mêmes signes de cent façons différentes. De plus, pour connaître les choses sensibles, il n’est pas besoin d’éducation : au contraire, si l’on veut gouverner un navire, il faut apprendre quels signes annoncent la tempête ou le beau temps ; et il en est de même dans la médecine. Enfin, si le signe est chose sensible, il doit être connu par un sens distinct, comme la couleur : quel est ce sens ?

Suivant les stoïciens, c’est à la raison qu’il appartient de connaître les signes. Ils embarrassent ce sujet d’une foule de distinctions subtiles, et disent que le signe est une proposition simple, capable de servir d’antécédent à un συνημμένον[1] régulier, et d’en découvrir le conséquent. Mais y a-t-il des propositions simples[2] ? C’est une question : et comment la résoudre, sans recourir à une démonstration, c’est-à-dire à un signe ? Y

  1. Le συνημμένον des stoïciens est la réunion de deux propositions, dont la première, ou antécédente, est la condition de la seconde, ou conséquente. Exemple : si le corps se meut, l’âme existe.
  2. Il s’agit ici du λεκτὸν αὐτοτελές que les stoïciens déclarent incorporel, et dont les épicuriens nient l’existence. P., II, 104.