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Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/365

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LE SCEPTICISME. — PARTIE DESTRUCTIVE.

naît, c’est ou ce qui existe, ou ce qui n’existe pas : mais ce qui existe n’a pas à naître, et à ce qui n’existe pas, on ne peut attribuer aucune qualité. De même une chose ne peut naître ni de ce qui existe, ni de ce qui n’existe pas. Les mêmes raisons montrent l’impossibilité de la mort.


3o Contre les moralistes. — La question capitale en morale est celle-ci : Qu’est-ce que le bien ? Le sceptique répond qu’il n’y a pas de bien[1].

Tout le monde accorde que le feu produit de la chaleur, et la neige du froid. Si le bien existait naturellement, il ferait aussi sur tout le monde la même impression. Mais d’une part, pour les hommes incultes ou ignorants, le bien, c’est tantôt la santé, et tantôt les plaisirs de l’amour ; c’est de s’emplir de vin ou de nourriture, ou encore de jouer aux dés, ou d’avoir plus d’argent que les autres. D’autre part, parmi les philosophes ; les uns, comme les péripatéticiens, distinguent trois sortes de biens, ceux de l’âme, ceux du corps, et les biens extérieurs ; les autres, comme les stoïciens, en admettent trois sortes aussi, mais ils l’entendent autrement, et distinguent les biens intérieurs, comme les vertus, les biens extérieurs, comme les amis, et les biens qui ne sont ni intérieurs, ni extérieurs, comme l’honnête homme. Épicure est d’un avis tout différent, et on a entendu un philosophe dire : « J’aimerais mieux être fou que de me livrer au plaisir. » Entre toutes ces théories il n’y a aucun moyen de choisir, il n’y a pas de critérium.

En outre, le bien est-il le désir que nous avons d’une chose, ou cette chose elle-même ? Ce n’est pas le désir, car nous ne ferions aucun effort pour obtenir ce que nous désirons, puisque la réussite ferait cesser le désir. Et ce n’est pas la chose ; car, ou elle serait hors de nous ; et alors, si elle produisait sur nous une impression agréable, ce n’est pas par elle-même qu’elle serait un bien ; et si elle n’en produisait pas, elle ne serait pas un

  1. P., III, 179.