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Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/402

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LIVRE IV. — CHAPITRE IV.

si on voulait à toute force faire un rapprochement, on pourrait dire que le scepticisme, par sa disposition à tout dériver de l’expérience, par sa secrète connivence avec le sensualisme épicurien, ressemble davantage au phénoménisme moderne : Ænésidème et surtout Sextus Empiricus font, à certains égards, penser à David Hume. Carnéade, par sa disposition à interroger l’esprit lui-même, à réfléchir sur les données et les conditions de la connaissance humaine, offre plus d’analogie avec Kant. Mais n’insistons pas sur ces rapprochements. Il est trop clair que Carnéade n’a ni le sérieux moral, ni la haute élévation d’esprit d’un Kant : il diffère du philosophe de Kœnigsberg bien plus encore qu’il lui ressemble. Ænésidème de son côté diffère en bien des manières de David Hume : sans parler même du système de métaphysique par lequel il semble avoir couronné son scepticisme, sa façon d’argumenter et sa dialectique abstraite ne rappellent en rien les fines analyses du philosophe écossais.

Mais s’il est téméraire de faire un parallèle entre les hommes, il n’en est pas tout à fait de même des doctrines. Parce qu’elles sont moins personnelles, et ne dépendent pas, en ce qu’elles ont d’essentiel, du caractère particulier de leurs auteurs, et des circonstances qui ont dirigé le cours de leurs pensées, elles peuvent avoir entre elles de plus notables ressemblances. Ainsi on pourrait dire que les théories d’Ænésidème et de Sextus font pressentir les doctrines modernes suivant lesquelles l’esprit ne connaît que des phénomènes et leurs lois empiriques. Les nouveaux académiciens, cherchant un moyen terme entre le dogmatisme, idéaliste ou sensualiste, et le pur pyrrhonisme, ont tenté une entreprise analogue à celle que Kant a réalisée. En dernière analyse, il y a entre le pyrrhonisme et la nouvelle Académie à peu près la même différence qu’entre le positivisme phénoméniste de notre temps et le criticisme Kantien.