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CONCLUSION.

ces raisons valables existent. Apparemment les coups ne sont pas des raisons. Nous aurions honte d’insister, et peut-être avons-nous déjà fait trop d’honneur aux arguments de la comédie. Nous n’en aurions même pas parlé, si trop souvent on ne les retrouvait chez certains philosophes, sous une forme moins gaie, mais, au fond, non moins plaisante.

C’est tout autre chose d’interroger les sceptiques sur leur théorie de la vie pratique. La question de savoir comment l’homme doit agir est trop grave pour qu’aucune philosophie puisse s’en désintéresser : il faut s’expliquer. Telle est la sommation que, dès l’antiquité, les adversaires des sceptiques leur ont adressée avec une persistance infatigable, et les sceptiques se sont exécutés sinon de bonne grâce, du moins en essayant de faire bonne contenance. Ils ont bien fait quelques plaisanteries sur cette tête de Gorgone dont on les menace toujours ; mais, finalement, ils ont accepté la discussion et fourni les explications réclamées. Il est vrai qu’elles sont passablement embarrassées : c’est ici le talon d’Achille du système.

L’objection est très simple. Vivre, c’est agir ; et agir, c’est choisir, préférer, entre plusieurs actions possibles, celle qu’on juge la meilleure. Point d’action sans jugement. Que devient alors la maxime sceptique : Il faut suspendre son jugement ?

Il n’y a que deux partis à prendre. On peut renoncer à s’occuper de la vie pratique et de l’action, la jeter en quelque sorte par-dessus bord. S’enfermant dans le monde d’abstractions où il s’est placé, le sceptique dira que, cherchant les raisons théoriques de la croyance, il n’en trouve aucune. Qu’on ne vienne pas lui parler de la vie pratique : il l’ignore. C’est déplacer la question que de la porter sur ce terrain. Que, dans la vie réelle, l’homme agisse ou n’agisse pas, peu importe au sceptique. Tout ce qu’il veut établir, c’est que théoriquement, c’est-à-dire rationnellement, l’homme n’a le droit de rien affirmer. Sa tâche est remplie quand il a établi ce point. Si on veut réfuter ses arguments, il est prêt à la discussion ; si on lui parle d’autre chose, il ferme ses oreilles. Que si, d’ailleurs, il lui arrive à lui-même