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CONCLUSION.

qui, en aucun cas, n’osent dire ni oui ni non, de sceptiques qui se tiennent toujours sur la réserve, de sceptiques suivant la formule, il n’y en a plus ; c’est une espèce disparue. Si les anciens sceptiques pouvaient revenir, ils seraient de fervents apôtres du progrès ; et si quelqu’un essayait de reprendre leur rôle, le ridicule en aurait bientôt fait justice.

Dira-t-on qu’affirmer les vérités de la science, c’est reprendre précisément la thèse des anciens sceptiques, puisque la science n’affirme que des phénomènes et des lois ? Nous avons reconnu les rapports qui unissent l’empirisme sceptique avec la science de nos jours : nous avons fait au scepticisme une part assez large. Mais rapprocher à ce point la science et l’empirisme sceptique, déclarer que le scepticisme est la science ou que la science est le scepticisme, ce serait faire aux mots et aux choses une étrange violence. En affirmant les lois de la nature, la science moderne a la prétention, fort légitime d’ailleurs, de dépasser les phénomènes. Elle ne craint pas d’étendre ses lois aux temps les plus reculés du passé ; elle les prolonge dans l’avenir le plus lointain. Elle ne se borne pas à attendre passivement et machinalement, comme pouvaient le faire les sceptiques, la reproduction des phénomènes qu’elle a observés. Elle les prévoit, elle les prédit, elle est sûre qu’ils arriveront. Si elle pèche par quelque endroit, ce n’est assurément pas par défaut d’assurance et de confiance en elle-même. Où trouvera-t-on la certitude, si elle n’est pas là, et qu’appellerons-nous vérités absolues, si nous refusons ce nom aux lois toujours vérifiées de l’astronomie ou de la physique ? La science va même plus loin : elle ose s’attaquer aux choses en soi ; elle a entrepris d’atteindre l’atome, de le mesurer, de le définir. Que nous voilà loin de l’empirisme des sceptiques ! C’est avec raison que ces derniers appelaient modestement leurs connaissances un art ou une routine ; c’est avec raison que les modernes ont revendiqué pour les leurs le nom de science. Les sciences de la nature, celles-là même dont les sceptiques contestaient le plus volontiers la légitimité, sont devenues la science par excellence. Quelques rapprochements qu’on