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Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/434

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CONCLUSION.

nous avons vu, de nos jours, des histoires entières, tenues pendant de longs siècles pour absolument certaines, s’effondrer tout à coup sous les coups de la critique et être convaincues d’imposture. Combien de récits, jadis authentiques, ne voyons-nous pas passer à l’état de légendes ! Combien de faits controuvés qu’on rectifie en attendant que la rectification soit corrigée ! Quelle inquiétude ne sommes-nous pas en droit de concevoir pour les vérités historiques, certaines aujourd’hui, et qui demain peut-être auront cessé de l’être ! Si l’on songe à la peine que nous devons prendre pour nous assurer d’un fait contemporain, dont les témoins sont vivants, pour lequel les documents abondent, que penser de ces hardies reconstructions d’époques disparues ? Notre siècle aurait bien des raisons d’être sceptique. Nous prions instamment qu’on ne nous prenne pas pour un apôtre de ce scepticisme : nous sommes prêt à faire un acte de foi dans la vérité de l’histoire prise dans son ensemble. Mais outrepassons-nous notre droit de logicien si nous concluons que les sciences historiques, comme les sciences de la nature, sont provisoires ? Leurs progrès témoignent de leur instabilité.

En toute science humaine, il y a donc une part de conjecture et d’hypothèse : voilà ce qui ne saurait être sérieusement contesté. Mais s’exprimer ainsi, c’est, qu’on le sache ou non, revenir à l’antique probabilisme.

La certitude, suivant le dogmatisme traditionnel, ne comporte ni restrictions ni réserves : elle est absolue et définitive, ou elle n’est pas. Dans l’ancienne terminologie, une probabilité qui peut s’accroître indéfiniment demeure toujours infiniment éloignée de la certitude. Nous ne faisons plus tant de façons : nous sautons à pieds joints au-dessus de cette barrière en réalité toute factice, nous passons d’emblée à la limite, et nous avons bien raison. Mais il n’en est pas moins vrai que ce que nous appelons aujourd’hui certitude est ce qu’on appelait autrefois probabilité. Nous sommes probabilistes sans le savoir. La science est probabiliste. Disons plutôt que le probabilisme est scientifique.

Il n’y a pas, dans toute l’histoire de la philosophie, de secte