Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/435

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
425
CONCLUSION.

qui ait été plus injustement traitée que l’école probabiliste. On lui prodigue les marques d’un dédain qu’elle ne mérite pas, et il est piquant de remarquer que beaucoup de ceux qui, trompés par une différence de mots, s’en moquent au nom de la science moderne, reviennent précisément au même point qu’elle. Que disait, en effet, la nouvelle Académie ? Que nous pouvons approcher sans cesse de la vérité ; qu’il faut croire les faits scrupuleusement observés, après s’être assuré que rien ne vient les contredire ; que la science est possible, qu’elle peut faire de continuels progrès ; qu’il faut travailler sans relâche à réaliser ces progrès. Peut-être avait-elle tort d’ajouter que nous ne sommes jamais absolument sûrs, si près que nous en approchions, d’atteindre la vérité ; mais, en cela, elle ne faisait qu’accepter la définition donnée par le dogmatisme : elle avait de la science une trop haute idée. Peut-être aussi ces philosophes ont-ils trop cédé à leur penchant à la chicane ; encore faut-il ajouter qu’ils avaient affaire aux plus retors de tous les disputeurs ; et s’ils ont tant insisté sur les côtés négatifs de leur doctrine, c’était pour faire échec au dogmatisme étroit et insupportable des stoïciens, en quoi ils avaient bien raison. N’oublions pas, d’ailleurs, que la restriction qu’ils apportaient à la certitude était toute théorique, et n’empêchait nullement la confiance pratique et l’action. Qui blâmerait aujourd’hui un savant s’il disait que la loi de l’attraction universelle est vraie jusque ce qu’un fait nouveau vienne la contredire ? Les probabilistes ne disaient pas autre chose quand ils soutenaient que nous ne sommes jamais absolument sûrs de posséder la vérité. Qu’il y aurait de choses à dire si nous voulions entreprendre une réhabilitation que ces excellents philosophes ont trop longtemps attendue ! Ils avaient bien raison de remarquer que la probabilité tient dans la vie humaine plus de place que la certitude : dans les circonstances les plus graves, c’est sur des probabilités que nous nous décidons. C’étaient des esprits fermes, sérieux, modérés, connaissant bien les limites de l’intelligence humaine, mais très disposés à la laisser agir librement en deçà de ses limites. Encore aujourd’hui, nous pouvons