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LIVRE I. — CHAPITRE II.

et de Protagoras. Mais nous avons déjà indiqué[1] les différences profondes qui séparent les sophistes et les pyrrhoniens : c’est par une véritable injustice de l’histoire qu’on a trop longtemps poursuivi des mêmes railleries et des mêmes invectives ces deux sectes philosophiques. Pyrrhon, on le verra plus loin, était l’ennemi déclaré des sophistes, et tout ce que nous savons de son caractère et de sa vie confirme sur ce point ce témoignage formel de celui qui l’a le mieux connu, son disciple Timon.

Les sophistes aimaient les honneurs et l’argent : ils menaient une existence brillante, et on peut dire, au moins de quelques-uns d’entre eux, que leur scepticisme mettait leur conscience à l’aise, et les allégeait d’un certain nombre de scrupules. Pyrrhon au contraire est resté pauvre : il n’a point tiré parti de son doute : sa vie est simple, austère, irréprochable : elle a tout le sérieux et la gravité qui ont toujours manqué aux sophistes.

En outre, la sophistique est avant tout une doctrine d’action. Si elle déclare la science impossible, elle cultive avec une confiance souvent excessive toutes les sciences, ou plutôt tous les arts : elle appartient à la jeunesse du génie grec. Pyrrhon est par-dessus tout indifférent ou apathique ; il ne prend intérêt à rien ; il se laisse vivre. C’est une doctrine de vieillard.

Enfin les sophistes sont une race essentiellement disputeuse : ils excellent tous dans la dialectique. Pyrrhon renonce à toutes les discussions, qu’il trouve également vaines. Si on peut dire qu’il y a du scepticisme dans la sophistique, il n’y a rien de sophistique dans le scepticisme, du moins dans celui de Pyrrhon : c’est ce qu’on verra plus clairement dans la suite de cette étude.

À défaut de la sophistique, est-ce à une autre école qu’il faut rattacher le pyrrhonisme ?

Logiquement, on peut trouver un lien entre lui et toutes les écoles antérieures : c’est en effet une chose digne de remarque,

  1. Voir ci-dessus, p. 16.