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LES ORIGINES DE L’ANCIEN SCEPTICISME.

n’est au pouvoir de personne d’empêcher, voilà l’idéal du sceptique. Philosophie égoïste et bornée, sans doute ! Il y avait mieux à faire même en ces temps troublés. Mais à tout prendre il faut convenir que comparés à leurs contemporains, les pyrrhoniens doivent encore être rangés parmi les meilleurs. Il y a dans leur attitude une certaine dignité, et une véritable force. Ils ont manqué de vertu : du moins ils n’ont pas eu de vices. Ils sont à peu près comme ce personnage moderne à qui l’on demandait ce qu’il avait fait pendant la Terreur et qui répondait : « J’ai vécu. »

Cette résignation et ce renoncement qui sont les caractères distinctifs du scepticisme primitif, Pyrrhon en avait trouvé les exemples sur les rives de l’Indus : c’est encore un point par où l’expédition d’Alexandre a exercé sur les destinées du scepticisme une influence que nous croyons capitale. Il nous est expressément attesté que Pyrrhon a connu les gymnosophistes, ces ascètes qui vivaient étrangers au monde, indifférents à la souffrance et à la mort. Nul doute qu’il n’ait été vivement frappé d’un spectacle si étrange ; et il s’en souvint, lorsque revenu dans sa patrie, il vit à quels misérables résultats avaient abouti tant d’efforts tentés par les philosophes, tant de victoires remportées par le plus glorieux des conquérants. La dialectique lui avait peut-être appris le néant de la science telle qu’elle existait de son temps : il apprit des gymnosophistes le néant de la vie, et crut, avec un autre sage de l’Orient, que tout est vanité.


II. Ces influences extérieures suffisent-elles à expliquer l’apparition de Pyrrhon, ou faut-il chercher un lien plus étroit entre sa doctrine et les philosophies antérieures ? À première vue, on peut être tenté de croire qu’il y a une parenté intime entre la sophistique et le scepticisme ; que, malgré les efforts de Socrate et de Platon, la sophistique n’a jamais entièrement disparu, qu’elle n’a pas cessé de vivre, reléguée au deuxième plan ; qu’en un mot, Pyrrhon est le véritable continuateur de Gorgias