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LIVRE I. — CHAPITRE III.

que c’est par les mœurs qu’il faut lui ressembler pour être vraiment pyrrhonien.

Comme Pyrrhon avait laissé de grands exemples, comme il était vénéré presque à l’égal d’un Socrate[1] par tous ceux qui l’avaient connu, les sceptiques trouvèrent bon plus tard, une fois leur doctrine complètement élaborée, d’invoquer son nom, et de se mettre en quelque sorte sous son patronage. C’était une bonne riposte à l’objection qu’on leur jetait toujours à la tête de supprimer la vertu et de rendre la vie impossible. Ils étaient dans leur droit, car Pyrrhon n’affirmait rien, pas même qu’il ne savait rien ; mais peu à peu ils en vinrent, sans s’en rendre compte peut-être, à lui attribuer des théories un peu différentes de ce qu’il avait pensé. On interpréta en un sens logique ce qui d’abord n’avait peut-être qu’une signification morale. Bref, Pyrrhon fut une sorte de saint, sous l’invocation duquel le scepticisme se plaça. Mais le père du pyrrhonisme paraît avoir été fort peu pyrrhonien. C’est plus tard que la formule du scepticisme fut : que sais-je ? Le dernier mot du pyrrhonisme primitif était : tout m’est égal.

IV. Il résulte des considérations précédentes que, si l’on veut se faire une idée exacte de ce qu’a été Pyrrhon, c’est sa biographie qu’il faut étudier, c’est au portrait que les anciens nous ont laissé de lui qu’il faut accorder toute son attention. Dans les renseignements que nous a transmis Diogène[2], il y a peut-être

  1. Lewes, dans le portrait qu’il trace de Pyrrhon (History of philosophy, I, 237) insiste sur cette ressemblance de Pyrrhon avec Socrate.
  2. La plupart de ces détails sont empruntés par Diogène à Antigone de Caryste, qui vivait au temps de Pyrrhon (Aristoc. ap. Euseb., Præp. evang., XIV, xviii, 26) et avait écrit une Vie de Pyrrhon (Diog., 62) et une Vie de Timon (ibid., 111). Hirzel remarque avec raison (p. 17) qu’Ænésidème a contredit les renseignements d’Antigone et combattu la légende qui représente Pyrrhon comme ne croyant pas à la réalité des objets extérieurs. En raison de cette opposition, Hirzel est disposé à récuser le témoignage d’Antigone. Mais il ne paraît pas avoir songé que peut-être Ænésidème a eu intérêt à nous représenter Pyrrhon un peu autrement qu’il n’était, afin de pouvoir invoquer son autorité, ou qu’il a pu de très bonne foi lui prêter ses propres idées et, comme on dit, le tirer à lui. Nous