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PYRRHON.

plus d’un trait dont il faut se défier, plus d’un détail trop légèrement accueilli. Mais tous ces faits, même s’ils ne sont pas absolument authentiques, nous montrent au moins quelle idée les anciens se faisaient de Pyrrhon, et parmi eux, vu l’ancienneté de la source à laquelle Diogène a puisé, ceux qui avaient pu recueillir les traditions les plus immédiates, et peut-être même connaître le philosophe. Si l’on peut s’en rapporter à ces documents, Pyrrhon est un personnage fort remarquable. Dans cette longue galerie d’hommes étonnants, bizarres ou sublimes, que nous fait parcourir l’histoire de la philosophie, il est à coup sûr un des plus originaux.

Il vécut pieusement (εὐσεβῶς) avec sa sœur Philista, qui était sage-femme. À l’occasion, il vendait lui-même au marché la volaille et les cochons de lait ; indifférent à tout, il ne dédaignait pas de nettoyer les ustensiles de ménage et de laver la truie. Son égalité d’âme était inaltérable, et il pratiquait avec sérénité l’indifférence qu’il enseignait. S’il arrivait qu’on le quittât pendant qu’il parlait, il n’en continuait pas moins son discours, sans que son visage exprimât le moindre mécontentement. Souvent il se mettait en voyage sans prévenir personne, il allait au hasard et prenait pour compagnons ceux qui lui plaisaient. Il aimait à vivre seul, cherchait les endroits déserts,

    croyons, pour notre part, qu’il faut voir précisément dans les témoignages d’Ænésidème le commencement de cette tradition sceptique qui a modifié la vraie physionomie de Pyrrhon.

    Il est vrai que Hirzel invoque un autre argument qui serait décisif s’il était fondé : c’est que le récit d’Antigène de Caryste est en contradiction avec les textes de Timon. Mais il nous a été impossible de voir cette contradiction. On verra, par le chapitre suivant, qu’il y a de grandes analogies entre le caractère de Pyrrhon et celui de Timon : le maître et le disciple paraissent avoir eu le même goût pour la vie solitaire et paisible (Cf. Diog., 112, et la correction de Wilamovitz). Notamment, nous ne voyons pas que Timon, dans les vers cités par Diogène (69), fasse un reproche à Philon, comme le dit Hirzel, de fuir la société des hommes ; il n’y a dans ces vers aucune trace de reproche.

    Il n’y a donc pas de raison sérieuse pour révoquer en doute l’autorité d’Antigone. Il reste vrai que son témoignage est, après celui de Timon, le plus ancien, et nous croyons, avec Wilamovitz-Mollendorf (Philos. Untarsuch., IV, 34 ; Berlin, Weismann, 1881), qu’il a une haute valeur historique.