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la garçonne

field, avec deux beaux enfants et un mari homme d’État ! Elle est devenue théosophe et spirite.

Tante Sylvestre eut un haussement d’épaules :

— Quand on se rapproche de Dieu, c’est qu’on s’éloigne des hommes. Il est vrai qu’elle ne les a jamais beaucoup aimés !

Monique sourit à la définition du nouveau mysticisme d’Élisabeth Springfield, et par contraste, à la pensée de son jeune frère, le joli Cecil Meere, « philanthrope », et, de surcroît, peintre amateur.

— Cecil, lui, c’est… l’inverse !

Tante Sylvestre s’indignait :

— Alors, là ! C’est de la maladie, de l’aberration !… Décidément, est-ce parce que je me fais vieille ? Est-ce parce que tout y marche à l’envers, ton Paris m’épouvante. Vive mon petit coin !… Ah ! voilà la rue de Médicis… 23… 29. Nous y sommes.

Monique se réjouissait, presque autant que sa tante, de revoir le professeur Vignabos. Vieux garçon, l’historien célèbre, gloire du Collège de France, et l’humble directrice de pensionnat entretenaient, depuis le temps lointain de leurs études au Quartier Latin, une ancienne camaraderie. Mlle Sylvestre aimait à se retremper, chaque fois qu’elle le pouvait, dans ce milieu de saine idéologie et de libre examen.

Toutes deux montaient joyeusement les cinq étages, donnant sur le jardin du Luxembourg.

L’escalier vétuste, la porte d’entrée à un battant, l’antichambre où déjà chapeaux et pardessus signalaient présence de disciples, tout disait la modestie. Monique échangea avec sa tante un sourire entendu. Elle préférait cette pauvreté digne à l’ostentation des plus somptueuses demeures.