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jamais de vue, et toute infraction au règlement qui traçait leurs obligations[1] était aussitôt

  1. Je mets ce Règlement sous les yeux du lecteur, afin de lui prouver que, sans me mêler de politique, j’avais assez d’occupations.
    PRÉFECTURE DE POLICE.
    Réglement pour la brigade particulière de sureté.

    Art. I. « La brigade particulière de sûreté se divise en quatre escouades. Chacun des agents commandant une escouade reçoit ses instructions de son chef de brigade, et celui-ci reçoit les notes de surveillance et de recherches du chef de la deuxième division de la préfecture de police, avec lequel il doit se concerter tous les jours, et autant de fois qu’il sera nécessaire pour le maintien de l’ordre et de la sûreté des personnes et des propriétés. Il lui rendra compte, tous les matins, du résultat de la surveillance exercée la veille et pendant la nuit par cette brigade, chaque chef d’escouade devant lui faire son rapport particulier.

    II. » Les agents particuliers exerceront une surveillance sévère et active pour prévenir les délits ; ils arrêteront, tant sur la voie publique que dans les cabarets et autres lieux semblables, les individus évadés des fers et des prisons ; les forçats libérés qui ne pourront leur justifier d’avoir obtenu la permission de résider à Paris ; ceux qui ont été renvoyés de la capitale dans leurs foyers pour y rester sous la surveillance de l’autorité locale, conformément au Code pénal, et qui seraient revenus à Paris sans autorisation, ainsi que ceux qu’ils surprendraient en flagrant délit. Ils conduiront ces derniers devant le commissaire de police du quartier, auquel ils feront leur rapport, pour lui faire connaître le motif de l’arrestation des prévenus. En cas d’absence de ce fonctionnaire public, ils les consigneront au poste le plus voisin, et les fouilleront soigneusement devant le commandant du poste, afin qu’ils puissent constater provisoirement la nature des objets trouvés sur eux. Ils demanderont toujours aux délinquants leur demeure, pour la vérifier de suite, et en cas de fausse indication de domicile, ils en feront part au commissaire de police, qui constatera alors leur vagabondage. Ils lui indiqueront aussi les témoins qui pourraient être entendus, et dont ils auront eu soin de se procurer les noms et demeures.

    III. » Les agents particuliers de la sûreté ne pourront consigner dans les postes que les individus mentionnés en l’article précédent. Ils ne pourront ensuite les en extraire que sur un ordre écrit de leur chef de brigade, auquel ils sont tenus de rendre compte de leurs opérations, ou en vertu d’un ordre supérieur.

    IV. » Les agents de police ne pourront s’introduire dans une maison particulière pour arrêter un prévenu de délit, sans être muni d’un mandat, et sans être accompagnés d’un commissaire de police, s’il y a perquisition à faire au domicile.

    V. » Les agents de police devront, en tout temps, marcher isolément, afin de mieux examiner les personnes qui passent sur la voie publique, et ils feront de fréquentes stations dans les carrefours les plus passagers.

    VI. » La circonspection, la véracité et la discrétion étant des qualités indispensables pour tout agent de police, ils ne peuvent y manquer sans être sévèrement punis.

    VII. » Il est défendu aux agents de police de diriger leur surveillance, soit de jour, soit de nuit, dans un autre quartier de la ville que celui qui leur aura été indiqué par leur chef, à moins d’un événement extraordinaire, qui l’eût exigé, et dont ils rendraient compte.

    VIII. » Il est également défendu aux agents de police d’entrer dans les cabarets et autres lieux publics pour s’y attabler et boire avec des femmes publiques ou autres individus susceptibles de les compromettre. Ceux qui se prendraient de boisson, qui entretiendraient des liaisons secrètes et habituelles avec des voleuses ou filles publiques, ou vivraient maritalement avec elles, seront punis sévèrement.

    IX. » Le jeu étant celui de tous les vices qui conduit le plus promptement l’homme à commettre des bassesses, il est expressément défendu aux agents de police de s’y livrer. Ceux qui seraient trouvés à jouer de l’argent dans un lieu quelconque, seront sur-le-champ suspendus de leurs fonctions.

    X. » Les agents de police sont tenus de rendre compte à leur chef de brigade de l’emploi de leur temps.

    XI. » La première contravention aux défenses faites dans les articles précédents, sera punie par une retenue de deux journées d’appointements ; en cas de récidive, cette retenue sera doublée, sans préjudice d’une punition plus grave, s’il y a lieu.

    XII. » Le chef de la brigade est spécialement chargé de veiller à l’exécution du présent règlement. Cette exécution est aussi particulièrement recommandée aux chefs d’escouades qui reçoivent ses ordres, et doivent lui rendre compte, chaque jour, de l’exécution de ceux qu’ils auront reçus de lui, comme de ceux qu’ils auront été à portée de donner eux-mêmes aux agents qu’ils dirigent.

    Fait à la Préfecture de police, le        1818.

    Le Ministre d’États, Préfet de Police,

    Signé, Conte ANGLÈS.

    Par Son Excellence,

    Le Secrétaire-général de la Préfecture,

    Signé Fortin.

    Sous M. Delaveau, je voulus ajouter quelques articles à cette charte de la brigade ; mais le dévôt préfet, qui couvrait de ses roulettes ambulantes Paris et la banlieue, refusa de donner sa sanction à un règlement dans lequel les jeux étaient anathématisés. J’avais aussi classé parmi les attributions de mes agents, le droit de pourchasser sur le Quai de l’École, aux Champs Elisées, et dans tous les lieux publics, cette foule de misérables, de tout rang et de tout âge, qui s’abandonnent ou se prostituent à un goût honteux qui semblait avoir émigré avec les jésuites. Je sollicitai souvent la répression de ces désordres, messieurs Delaveau et Duplessis firent constamment la sourde oreille ; enfin il me fut impossible de leur faire comprendre : que la loi qui punit les attentats aux mœurs est applicable à messieurs les trop-philanthropes, toutes les fois qu’ils ne vont pas chercher les ténèbres intra-muros. Je n’ai pas encore pu m’expliquer pourquoi de si hideuses dépravations étaient en quelque sorte privilégiées ; peut-être existait-il une secte qui, pour se détacher du monde au moins par un côté, et se soustraire à la plus douce des influences, avait juré haine à la plus belle moitié de l’humaine espèce ; peut-être qu’à l’instar de la société des bonnes lettres et de celle des bonnes études, il s’était formé une société des bonnes mœurs : les mœurs jésuitiques. Je n’en sais rien, mais en peu d’années le mal a fait tant de progrès, que je conseille à nos dames d’y prendre garde ; si cela continue, adieu l’empire du cotillon ; de robe courte ou longue, les jésuites n’aiment que la leur.