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Un Ange eut ces ennuis qui troublent tant nos jours[1],
Et poursuivent les grands dans la pompe des cours[2] ;
Mais au sein des banquets, parmi la multitude[3].
Un homme qui gémit trouve la solitude ;
Le bruit des Nations, le bruit que font les Rois,
Rien n’éteint dans son cœur une plus forte voix.
Harpes du Paradis, vous étiez sans prodiges !
Chars vivants dont les yeux ont d’éclatants prestiges[4] !
Armures du Seigneur[5], pavillons du saint lieu[6],
Étoiles des bergers tombant des doigts de Dieu,
Saphirs des encensoirs, or du céleste dôme,

  1. Var : M, 1er main, Il fut pour les esprits (corr. : un esprit) comme pour les humains | Une mélancolie et (corr. : sur) de secrets chemins. 2e main, Un ange eut ces ennuis qui troublent les mortels | Et poursuivent nos cœurs jusqu’au pied des autels.
  2. Vigny était encouragé par Chateaubriand à prêter aux anges les sentiments des hommes ; voir Génie, 2e partie, l. IV, ch. 16 : Pour éviter la froideur qui résulte de l’éternelle et toujours semblable félicité des justes, on pourrait essayer d’établir dans le ciel une espérance, une attente quelconque de plus de bonheur, ou d’une époque inconnue dans la révolution des êtres ; on pourrait rappeler davantage les choses humaines, soit en tirant des comparaisons, soit en donnant des affections et même des passions aux élus : l’Écriture nous parle des espérances et des tristesses du ciel. Pourquoi donc n’y aurait-il pas dans le Paradis des pleurs tels que les saints peuvent en répandre ?
  3. Var : M, À travers les banquets, parmi la multitude.
  4. Milton, P. P., VI, 846 : Les roues vivantes, semblablement parsemées d’une multitude d’yeux. — Chateaubriand, Martyrs, l. III : Près de lui (du Fils) est son char vivant dont les roues lancent des foudres et des éclairs. (Une note renvoie à Ezéchiel, I, 18-20, et à Milton.) — Moore, A. d. A., p. 35 : Les astres… roulant au milieu de l’espace comme des chars vivants de lumière.
  5. Milton, P. P., VII, 197 : Autour de son char étaient répandus sans nombre Chérubins et Séraphins, Potentats, Trônes et Vertus, esprits ailés et chars ailés, tirés de l’arsenal de Dieu (from fhe armoury of God). — VI, 713 (le Père s’adresse au Fils) : Ceins mes armes invincibles, et suspends mon épée sur ta forte cuisse.
  6. Milton, P. P., V, 646 : L’armée angélique répartie en bandes et en files, étend son camp le long des vivants ruisseaux, parmi les arbres de vie, pavillons innombrables et soudainement dressés…