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pays. La pensée de ces bonnes gens était claquemurée dans leurs fabliaux, et tout à fait étrangère à l’antiquité. Aujourd’hui, cette poésie a pour nous un intérêt historique, sur lequel nous insisterons longtemps. Elle offre la plus vive image de l’esprit du temps. Elle était moins un art qu’une croyance.

Au reste, ces fabliaux des trouvères, ces longs poëmes historiques, chevaleresques, allégoriques du xiiie siècle, peuvent occuper curieusement l’érudition. Mais ce n’est qu’au génie qu’il est donné d’agir sur les âmes, d’élever ces monuments qui rayonnent au loin dans les siècles, et enfin de créer une littérature qui ait une date précise : cette date, c’est un grand homme. Toute la poésie française du xiiie siècle est, pour ainsi dire, anonyme ; vous distinguez seulement Thibaut, comte de Champagne. Qu’il soit coupable ou non d’avoir adressé des vers à la reine Blanche, ce qui a fort inquiété quelques érudits de l’Académie des inscriptions, vous reconnaissez dans ses vers, en langue déjà française, un tour libre, hardi, naïf, une heureuse imitation de la vivacité provençale. Comte de Champagne et roi de Navarre, Thibaut a réuni les caractères des deux poésies. La prose de Ville-Hardouin plaît par la candeur antique et la rudesse en-