Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/113

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— et revenez bien vite nous aimer sans cesse.

Depuis un moment je n’écoutais personne. Je regardais un étranger placé dans une loge en face de nous : un homme de trente-cinq ou trente-six ans, d’une pâleur orientale ; il tenait une lorgnette et m’adressait un salut.

— Eh ! c’est mon inconnu de Wiesbaden ! me dis-je tout bas, après quelque recherche.

Comme ce monsieur m’avait rendu, en Allemagne, un de ces services légers que l’usage permet d’échanger entre voyageurs (oh ! tout bonnement à propos de cigares, je crois, dont il m’avait indiqué le mérite au salon de conversation), je lui rendis le salut.

L’instant d’après, au foyer, comme je cherchais du regard le phénix en question, je vis venir l’étranger au-devant de moi. Son abord ayant été des plus aimables, il me parut de bonne courtoisie de lui proposer notre assistance s’il se trouvait trop seul en ce tumulte.

— Et qui dois-je avoir l’honneur de présenter à notre gracieuse compagnie ? lui demandai-je, souriant, lorsqu’il eut accepté.

— Le baron Von H***, me dit-il. Toutefois, vu les allures insoucieuses de ces dames, les difficultés de prononciation et ce beau soir de carnaval, laissez-moi prendre, pour une heure, un autre nom, — le premier venu, ajouta-t-il : tenez… (il se mit à rire) : le baron Saturne, si vous voulez.

Cette bizarrerie me surprit un peu, mais comme il s’agissait d’une folie générale, je l’annonçai, froi-