Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/118

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je ne fus pas sans m’apercevoir bientôt que mon vis-à-vis méritait, en effet, quelque attention.

Non, ce n’était pas un homme folâtre, ce convive de passage !… Ses traits et son maintien ne manquaient point, sans doute, de cette distinction convenue qui fait tolérer les personnes : son accent n’était point fastidieux comme celui de quelques étrangers ; — seulement, en vérité, sa pâleur prenait, par intervalles, des tons singulièrement blêmes — et même blafards ; ses lèvres étaient plus étroites qu’un trait de pinceau ; les sourcils demeuraient toujours un peu froncés, même dans le sourire.

Ayant remarqué ces points et quelques autres, avec cette inconsciente attention dont quelques écrivains sont bien obligés d’être doués, je regrettai de l’avoir introduit, tout à fait à la légère, en notre compagnie, — et je me promis de l’effacer, à l’aurore, de notre liste d’habitués. — Je parle ici de C*** et de moi, bien entendu ; car le bon hasard qui nous avait octroyé, ce soir-là, nos hôtes féminins, devait les remporter, comme des visions, à la fin de la nuit.

Et puis l’étranger ne tarda pas à captiver notre attention par une bizarrerie spéciale. Sa causerie, sans être hors ligne par la valeur intrinsèque des idées, tenait en éveil par le sous-entendu très vague que le son de sa voix semblait y glisser intentionnellement.

Ce détail nous surprenait d’autant plus qu’il nous était impossible, en examinant ce qu’il disait, d’y découvrir un sens autre que celui d’une phrase mon-