Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/270

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du chemin à faire — et que cette bruine est, en effet, pénétrante !

Il eut un frisson. Nous étions l’un auprès de l’autre, immobiles, nous regardant fixement comme deux voyageurs pressés.

En ce moment la lune s’éleva sur les sapins, derrière les collines, éclairant les landes et les bois à l’horizon. Elle nous baigna spontanément de sa lumière morne et pâle, de sa flamme déserte et pâle. Nos silhouettes et celle du cheval se dessinèrent, énormes, sur le chemin. — Et, du côté des vieilles croix de pierre, là-bas, — du côté des vieilles croix en ruines qui se dressent en ce canton de Bretagne, dans les écreboissées où perchent les funestes oiseaux échappés du bois des Agonisants, — j’entendis, au loin, un cri affreux : l’aigre et alarmant fausset de la Freusée. Une chouette aux yeux de phosphore, dont la lueur tremblait sur le grand bras d’une yeuse, s’envola et passa entre nous, en prolongeant ce cri.

— Allons ! continua l’abbé Maucombe, moi, je serai chez moi dans une minute ; ainsi prenez, — prenez ce manteau ! — J’y tiens beaucoup !… beaucoup ! — ajouta-t-il avec un ton inoubliable. — Vous me le ferez renvoyer par le garçon d’auberge qui vient au village tous les jours… Je vous en prie.

L’abbé, en prononçant ces paroles, me tendait son manteau noir. Je ne voyais pas sa figure, à cause de l’ombre que projetait son large tricorne : mais je distinguai ses yeux qui me considéraient avec une solennelle fixité.