Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/271

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il me jeta le manteau sur les épaules, me l’agrafa, d’un air tendre et inquiet, pendant que, sans forces, je fermais les paupières. Et, profitant de mon silence, il se hâta vers son logis. Au tournant de la route, il disparut.

Par une présence d’esprit, — et un peu, aussi, machinalement, — je sautai à cheval. Puis je restai immobile.

Maintenant j’étais seul sur le grand chemin. J’entendais les mille bruits de la campagne. En rouvrant les yeux, je vis l’immense ciel livide où filaient de nombreux nuages ternes, cachant la lune, — la nature solitaire. Cependant, je me tins droit et ferme, quoique je dusse être blanc comme un linge.

— Voyons ! me dis-je, du calme ! — J’ai la fièvre et je suis somnambule. Voilà tout.

Je m’efforçai de hausser les épaules : un poids secret m’en empêcha.

Et voici que, venue du fond de l’horizon, du fond de ces bois décriés, une volée d’orfraies, à grand bruit d’ailes, passa, en criant d’horribles syllabes inconnues, au-dessus de ma tête. Elles allèrent s’abattre sur le toit du presbytère et sur le clocher dans l’éloignement : et le vent m’apporta des cris tristes. Ma foi, j’eus peur. Pourquoi ? Qui me le précisera jamais ? J’ai vu le feu, j’ai touché de la mienne plusieurs épées ; mes nerfs sont mieux trempés, peut-être, que ceux des plus flegmatiques et des plus blafards : j’affirme, toutefois, très humblement, que j’ai eu peur, ici, — et