Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/298

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Et voici qu’entre deux petites gorgées de menthe blanche, m’ayant élu pour confident sous le fallacieux peut-être, mais rassurant prétexte que je ne suis pas « comme les autres » (ce qui était à dire, en réalité, pour causer, à tout prix, de l’intime préoccupation qui l’étouffait), Maryelle me narra la suivante histoire, — après m’avoir arraché cette promesse (que je tiens en ce moment) d’en masquer l’héroïne (s’il m’arrivait d’en parler un jour), sous le loup de velours d’un impénétrable et gracieux pseudonymat.

Voici l’histoire, sans commentaires. C’est seulement sa manière d’être banale qui m’a semblé assez extraordinaire.

L’hiver dernier, au théâtre, Maryelle avait été l’objet, paraît-il, de l’attention d’un très jeune spectateur absolument inconnu du tout Paris des rues Blanche et Condorcet.

Oui, d’un enfant de dix-sept ou dix-huit ans, de mise élégante et simple, et dont la jumelle s’était plusieurs fois levée vers sa loge.

Lorsque la belle Maryelle est habillée en toilette montante, il faut vous dire qu’un provincial pourra toujours la prendre pour quelque échappée d’un salon de moderne préfète.

La dangereuse créature a cela pour elle, qu’elle n’est dénuée ni d’orthographe ni d’un certain tact, grâce auquel elle devient selon les gens qui lui parlent — et assez vite pour produire l’illusion. La romance une fois commencée, elle ne détonne plus : qualité rare.