Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/62

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une perle, enfin ! Et voici qu’au lieu de me répondre oui ou non, vous m’accablez d’injures ! Vous m’affublez des épithètes les plus ridiculisantes ! Vous me traitez, à brûle-pourpoint, de littérateur, d’écrivain, de penseur, que sais-je ? J’ai vu le moment où… sans aucune provocation de ma part… (Ici, notre ami baisse la voix en regardant autour de lui comme craignant les écoutes)… où vous alliez me traiter d’« homme de génie ! » Ne niez pas : je vous voyais venir. — Monsieur, on ne traite pas, comme cela, d’hommes de génie, des gens qui ne vous ont rien fait. Chez vous, ce ne fut pas étourderie, mais calcul méchant. Vous savez fort bien qu’un tel propos peut avoir pour fatales conséquences de priver un innocent de tout gagne-pain, de le rendre l’exploitation et la risée de tous. Vous pouviez refuser mon article, mais non le déprécier en le déclarant entaché de génie. Où voulez-vous que je le porte, maintenant ? Oui, j’ai sur le cœur ce procédé de mauvaise guerre, je l’avoue ! Et je vous avertis que si vous ébruitiez sur mon compte d’aussi venimeuses calomnies, — comme je ne tiens pas à mourir de faim, de misère et de honte sous les demi-sourires approbateurs et les clins d’yeux encourageants du bal de domestiques où je me trouve dans la vie, — je saurais vous amener sur le terrain, n’en doutez pas, ou à des excuses dictées. — Brisons là. Ces quelques paroles, ne me paraissant présenter qu’imparfaitement, entre nous, les prodromes d’une amitié naissante, souffrez que je prenne congé à l’anglaise,