Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/330

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ce Signe à la main, dans la vie, sans savoir où ce Signe le conduisait ?

Il ne s’en inquiétait pas : mais, lorsqu’on essayait de railler, en sa présence, le nom germain de son dauphin d’outre-tombe :

— Naundorff, Frohsdorff !… murmurait-il pensivement.

Et voici que, par un enchaînement irrésistible, l’imprévu des événements avait élevé peu à peu l’avocat-citoyen jusqu’à le constituer, tout à coup, le représentant même de la France ! Il avait fallu, pour amener ceci, que l’Allemagne fît prisonniers plus de cent cinquante mille hommes, avec leurs canons, leurs armes et leurs drapeaux flottants, avec leurs maréchaux et leur Empereur — et maintenant, avec leur capitale ! — Et ce n’était pas un rêve.

C’est pourquoi le souvenir de l’autre rêve, moins incroyable, après tout, que celui-là, vint hanter M. Jules Favre, pendant un instant, ce soir-là, dans la salle déserte où venaient d’être débattues les conditions de salut — ou plutôt de vie sauve — de ses concitoyens.

À présent, atterré, morne, il jetait malgré lui, sur l’Anneau transmis à son doigt, des coups d’œil de visionnaire. Et sous les transparences de l’opale frappée de lueurs célestes, il lui semblait voir étinceler, autour de l’héraldique Bellone vengeresse, les vestiges de l’antique écusson qui rayonna jadis, au fond des siècles, sur le bouclier de saint Louis.