Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/343

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lait leurs taciturnes songeries. Leur nombre était surprenant.

Mon noctambulisme m’avait conduit jusqu’à l’ouverture d’une clairière au fond de laquelle j’entrevoyais le château ducal illuminé. Le royal souper devait durer encore ? Bientôt, je heurtai un obstacle. Je reconnus un banc. — Ma foi, je me laissai aller au calme et à la beauté de la nuit. Je m’étendis et m’accoudai, les yeux fixés sur la clairière. Il pouvait être une heure et demie du matin.

Tout à coup, au sortir de l’une des contre-allées qui avoisinent le château, quelqu’un parut, marchant vers ma retraite, un cigare à la main.

— Sans doute, quelque officier sentimental, pensai-je, voyant s’avancer lentement ce promeneur.

Mais, à l’entrée de mon allée, la lumière de la lune l’ayant baigné spontanément, je tressaillis.

— Tiens ! on dirait le tzar ! me dis-je.

Une seconde après, je le reconnus. Oui, c’était lui. L’homme qui venait de s’aventurer sous cette voûte noire où, seul, je veillais, — celui-là que je ne voyais plus, maintenant, mais que je savais être là, dont j’entendais les pas, au milieu de l’allée, dans la nuit, — c’était bien l’empereur Alexandre II. Cette façon de me trouver une première fois seul à seul avec lui m’impressionnait.

Personne, sur ses traces ! Pas un officier. Il avait tenu, je suppose, à respirer aussi, sans autre