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introduction

la fixation de races plus ou moins différentes de celles que l’on connaissait antérieurement ; elle ne modifie en rien le nombre ni la position des espèces botaniques légitimes. L’espèce, en effet, est fondée sur ce fait que tous les individus qui la composent sont indéfiniment féconds entre eux et ne le sont qu’entre eux. Or, tant qu’on n’aura pas prouvé qu’une race produite de main d’homme a cessé d’être féconde croisée avec des individus de l’espèce dont elle est sortie, tandis qu’elle se reproduit indéfiniment fécondée par elle-même, on ne pourra pas dire qu’on a créé une espèce nouvelle, — et jusqu’ici personne, que nous sachions, n’a avancé chose semblable.

Au contraire, cette fécondité par elle-même, et seulement par elle-même, c’est pour ainsi dire l’espèce tout entière. C’est à la fois ce qui assure sa perpétuité, sa flexibilité et sa faculté d’adaptation aux divers milieux où il lui faut vivre. On peut concevoir que, dans les conditions ordinaires de l’habitat primitif d’une plante, l’espèce se maintient semblable à elle-même par le fait de fécondations croisées continuelles, qui noient, pour ainsi dire, les quelques cas rares et faibles de variation qui peuvent se produire (car partout et toujours les êtres vivants tendent à varier). Dans le cas d’un transport de l’espèce vers une localité nouvelle, où les conditions de vie sont un peu différentes, des caractères nouveaux, en harmonie avec le milieu, se manifestent chez un certain nombre d’individus, et du croisement des mieux adaptés devra sortir, semble-t-il, une race locale qui se fixera par l’influence de l’hérédité agissant dans le même sens que celle du milieu. Mais, dans notre hypothèse, cette race reste intimement liée à l’espèce dont elle est sortie, en ce sens qu’elle est toujours féconde avec elle. Du croisement des deux formes naissent des individus intermédiaires à divers degrés entre leurs parents, mais aussi, nous croyons en être surs par de nombreuses observations, quelques-uns chez lesquels les variations déjà survenues dans les caractères primitifs sont amplifiées et pour ainsi dire exagérées par la fécondation croisée. Dans l’état spontané, la plupart de ces formes nouvelles, sans doute, sont perdues et disparaissent, ou elles rentrent graduellement dans le niveau commun de l’espèce ou de la race dont elles sont sorties ; mais dans les cultures elles sont conservées, protégées, multipliées à l’abri de l’influence d’individus de la même espèce qui les solliciterait à retourner au type primitif, et alors les variations qu’elles ont présentées sont fixées par l’intervention de l’homme, quand elles lui sont utiles ou agréables. Voilà, croyons-nous, pourquoi tant de races nouvelles ont pour point de départ une fécondation croisée.

La pratique horticole a depuis longtemps mis ce fait à profit pour l’obtention des variétés, appelant à tort hybrides les formes qui proviennent d’un simple métissage, mais reconnaissant avec raison la tendance à varier de la descendance de parents un peu différents l’un de l’autre. Or il est facile de s’expliquer, dans cet ordre d’idées, pourquoi l’apparition des races et variétés