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à la cause royale attaquèrent ouvertement l’autorité judiciaire des barons en créant les cas royaux. « C’est-à-dire qu’ils firent recevoir en principe, que le roi, comme chef du gouvernement féodal, avait, de préférence à tout autre, le droit de juger certaines causes nommées pour cela cas royaux. À la rigueur, cette opinion était soutenable ; mais il fallait déterminer clairement les cas royaux, sous peine de voir le roi devenir l’arbitre de toutes les contestations ; or, c’est ce que ne voulurent jamais faire les baillis : prières, instances, menaces, rien ne put les y décider ; toutes les fois qu’ils entendaient débattre dans les cours seigneuriales une cause qui paraissait intéresser l’autorité du roi, ils s’interposaient au milieu des partis, déclaraient la cause cas royal, et en attiraient le jugement à leurs cours[1]. » Les empiétements des baillis sur les juridictions seigneuriales étaient appuyés par le parlement, qui enjoignait, dans certains cas, aux baillis, d’entrer sur les terres des seigneurs féodaux et d’y saisir tels prévenus, bien que ces seigneurs fussent hauts-justiciers, et, selon le droit, pouvant « porter armes pour justicier leurs terres et fiefs[2]. » En droit féodal, le roi pouvait assigner à sa cour le vassal qui eût refusé de lui livrer un prévenu, considérer son refus comme un acte de félonie, prononcer contre lui les peines fixées par l’usage, mais non envoyer ses baillis exploiter dans une seigneurie qui ne lui appartenait pas[3].

À la fin du XIIIe siècle, la féodalité, ruinée par les croisades, attaquée dans son organisation par le pouvoir royal, n’était plus en situation d’inspirer des craintes sérieuses à la monarchie, ni assez riche et indépendante pour élever des forteresses comme celle de Coucy. D’ailleurs, à cette époque, aucun seigneur ne pouvait construire ni même augmenter et fortifier de nouveau un château, sans en avoir préalablement obtenu la permission de son suzerain. Nous trouvons, dans les Olim, entre autres arrêts et ordonnances sur la matière, que l’évêque de Nevers, qui actionnait le prieur de la Charité-sur-Loire parce qu’il voulait élever une forteresse, avait été lui-même actionné par le bailli du roi pour avoir simplement fait réparer les créneaux de la sienne. Saint Louis s’était arrogé le droit d’octroyer ou de refuser la construction des forteresses ; et s’il ne pouvait renverser toutes celles qui existaient de son temps sur la surface de ses domaines et qui lui faisaient ombrage, il prétendait au moins empêcher d’en construire de nouvelles ; et, en effet, on rencontre peu de châteaux de quelque importance élevés de 1240 à 1340, c’est-à-dire pendant cette période de la monarchie française qui marche résolument vers l’unité de pouvoir et de gouvernement.

À partir du milieu du XIVe siècle, au contraire, nous voyons les vieux châteaux réparés ou reconstruits, de nouvelles forteresses s’élever sur le territoire français, à la faveur des troubles et des désastres qui désolent le

  1. Instit. de saint Louis, le comte Beugnot.
  2. Les Olim (Ordonnances, t. I, p. 411).
  3. Ibid., note 35.