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l’entretien des armes ; il devait se suffire à lui-même sans avoir besoin de recourir aux fournisseurs du dehors. Comme l’abbaye du XIIe siècle, le château féodal formait une société isolée, une petite ville renfermant ses soldats, ses ouvriers, fabricants, sa police particulière. Résidence royale, le château du Louvre avait, comme tous les châteaux féodaux, dans ses basses-cours, des fermiers qui, par leurs baux, devaient fournir la volaille, les œufs, le blé ; il possédait en outre une ménagerie bâtie par Philippe de Valois, en 1333, sur l’emplacement de granges achetées à Geoffroi et Jacques Vauriel ; de beaux jardins ; plantés à la mode du temps, c’est-à-dire avec treilles, plants de rosiers, tonnelles, préaux, quinconces[1].

Le plan carré ou parallélogramme paraît avoir été adopté pour les châteaux féodaux de plaine depuis le XIIIe siècle ; mais il est rare de rencontrer, ainsi que nous l’avons dit précédemment, le donjon placé au milieu du rectangle ; cette disposition est particulière au château du Louvre. Au château de Vincennes, bâti pendant le XIVe siècle, le donjon est placé le long de l’un des grands côtés, et pouvait, dès lors, se rendre indépendant de l’enceinte en ayant sa poterne s’ouvrant directement sur les dehors ; mais il faut voir dans le château de Vincennes une place forte, une vaste enceinte fortifiée, plutôt qu’un château proprement dit[2] (voy. Architecture Militaire). Les tours carrées qui flanquent ses courtines appartiennent bien plus à la défense des villes et places fortes de cette époque qu’à celle des châteaux.

Un des caractères particuliers aux châteaux de la fin du XIIIe siècle et du XIVe, c’est l’importance relative des tours, qui sont, sauf de rares exceptions, cylindriques, d’un fort diamètre, épaisses dans leurs œuvres, hautes et très-saillantes en dehors des courtines, de manière à les bien flanquer. Les engins d’attaque s’étant perfectionnés pendant le XIIIe siècle, on avait jugé nécessaire d’augmenter le diamètre des tours, de faire leurs murs plus épais et de rendre leur commandement très-puissant. Cette observation vient encore appuyer notre opinion sur la date des défenses du

  1. Lorsque Charles V veut faire les honneurs de son Louvre à l’empereur Charles IV, il y fait conduire ce prince en bateau : « Au Louvre arrivèrent ; le Roy monstra à l’Empereur les beauls murs et maçonnages qu’il avoit fait au Louvre édifier ; l’Empereur, son filz et ses barons moult bien y logia, et partout estoit le lieu moult richement paré ; en la sale dina le Roy, les barons avec lui, et l’Empereur en sa chambre. » Des faits du sage Roy Charles V, Cristine de Pizan, ch. XLII.
  2. Ce qui prouve encore que la place de Vincennes n’avait pas été considérée par son fondateur comme un château, c’est ce passage de Cristine de Pisan, extrait de son Livre des faits et bonnes meurs du sage Roy Charles V. « Item, dehors Paris, le chastel du bois de Vincenes, qui moult est notable et bel, avoit entencion (le roi) de faire ville fermée ; et là aroit establie en beauls manoirs la demeure de pluseurs seigneurs, chevaliers et autres ses mieulz amez, et à chascun y asseneroit rente à vie selon leur personne : celleci lieu voult le Roy qu’il fust franc de toutes servitudes, n’aucune charge par le temps avenir, ne redevance demander. » Chap, XI.