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davantage ; les chefs de famille s’établirent à une bien plus grande distance les uns des autres : ils occupèrent de vastes domaines ; leurs maisons devinrent plus tard des châteaux : les villages qui se formèrent autour d’eux furent peuplés, non plus d’hommes libres, leurs égaux, mais de colons attachés à leurs terres. Ainsi, sous le rapport matériel, la tribu se trouva dissoute par le seul fait de son nouvel établissement… L’assemblée des hommes libres, où se traitaient toutes choses, devint beaucoup plus difficile à réunir… » L’égalité qui régnait dans les camps entre le chef et ses compagnons dut s’effacer et s’effaça bientôt en effet, du moment que la bande germaine fut établie sur le sol. « Le chef, devenu grand propriétaire, disposa de beaucoup de moyens de pouvoir ; les autres (ses compagnons) étaient toujours de simples guerriers ; et plus les idées de la propriété s’affermirent et s’étendirent dans les esprits, plus l’inégalité se développa avec tous ses effets… Le roi, ou les chefs considérables qui avaient occupé un vaste territoire, distribuaient des bénéfices à leurs hommes, pour les attacher à leur service ou les récompenser de services rendus… Le guerrier à qui son chef donnait un bénéfice allait l’habiter ; nouveau principe d’isolement et d’individualité… Ce guerrier avait d’ordinaire quelques hommes à lui ; il en cherchait, il en trouvait qui venaient vivre avec lui dans son domaine ; nouvelle source d’inégalité. »

Cette société, qui se décomposait ainsi au moment où elle s’établissait sur le sol conquis après avoir dissous la vieille société romaine, ne devait se constituer que par le régime féodal ; elle en avait d’ailleurs apporté les germes. Mais il fallut quatre siècles d’anarchie, de tâtonnements, de tentatives de retour vers l’administration impériale, de luttes, pour faire sortir une organisation de ce désordre.

Quelles étaient les habitations rurales de ces nouveaux possesseurs des Gaules, pendant ce long espace de temps ? On ne peut, à cet égard, que se livrer à des conjectures, car les renseignements nous manquent ou sont très-vagues. Tout porte à supposer que la villa romaine servait encore de type aux constructions des champs élevées par les conquérants. Grégoire de Tours parle de plusieurs de ces habitations, et ce qu’il en dit se rapporte assez aux dispositions des villæ. C’étaient des bâtiments isolés destinés à l’exploitation, à l’emmagasinage des récoltes, au logement des familiers et des colons, au milieu desquels s’élevait la salle du maître ou même une enceinte en plein air, aula, dans laquelle se réunissait le chef franc et ses leudes ; cette enceinte, à ciel ouvert ou couverte, servait de salle de festin, de salle de conseil ; elle était accompagnée de portiques, de vastes écuries, de cuisines, de bains. Le groupe formé par tous ces bâtiments était entouré d’un mur de clôture, d’un fossé ou d’une simple palissade. Le long des frontières, ou sur quelques points élevés, les rois mérovingiens avaient bâti des forteresses ; mais ces résidences paraissent avoir eu un caractère purement militaire, comme le castrum romain ; c’étaient plutôt des camps retranchés destinés à abriter un corps d’armée