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que des châteaux propres à l’habitation permanente et réunissant dans leur enceinte tout ce qui est nécessaire à la vie d’un chef et de ses hommes[1]. Nous ne pouvons donner le nom de château qu’aux demeures fortifiées bâties pendant la période féodale, c’est-à-dire du Xe au XVIe siècle. Ces demeures sont d’autant plus formidables qu’elles s’élevaient dans des contrées où la domination franque conservait avec plus de pureté les traditions de son origine germanique, sur les bords du Rhin, de la Meuse, dans le Soissonnais et l’Île de France, sur une partie du cours de la Loire et de la Saône.

Pendant la période carlovingienne, les princes successeurs de Charlemagne avaient fait quelques efforts pour s’opposer aux invasions des Normands ; ils avaient tenté à plusieurs reprises de défendre le cours des fleuves, mais ces ouvrages, ordonnés dans des moments de détresse, construits à la hâte, devaient être plutôt des postes en terre et en bois que des châteaux proprement dits. Les nouveaux barbares venus de Norvége ne songeaient guère non plus à fonder des établissements fixes au milieu des contrées qu’ils dévastaient ; attirés seulement par l’amour du butin, ils s’empressaient de remonter dans leurs bateaux dès qu’ils avaient pillé une riche province. Cependant ils s’arrêtèrent parfois sur quelque promontoire, dans quelques îles au milieu des fleuves, pour mettre à l’abri le produit des pillages, sous la garde d’une partie des hommes composant l’expédition ; ils fortifiaient ces points déjà défendus par la nature, mais ce n’était encore là que des camps retranchés plutôt que des châteaux. On retrouve un établissement de ce genre sur les côtes de la Normandie, de la Bretagne ou de l’Ouest, si longtemps ravagées par les pirates normands ; c’est le Haguedike situé à l’extrémité nord-ouest de la presqu’île de Cotentin, auprès de l’île d’Aurigny. « Un retranchement ou fossé d’une lieue et demie de long sépare ce promontoire du continent ; c’est là le Haguedike[2]… Il se peut que le Haguedike, ou fossé de la Hague, soit antérieur à l’époque normande ; mais les pirates ont pu se servir des anciens retranchements du promontoire, et en faire une place de retraite. »

  1. Grégoire de Tours parle de plusieurs châteaux assiégés par l’armée de Théodoric… « Ensuite, dit-il, liv. III, Chastel-Marlhac fut assiégé (dans le Cantal, arrond. de Mauriac). Tunc obsessi Meroliacensis castri… Il est entouré, non par un mur, mais par un rocher taillé de plus de cent pieds de hauteur. Au milieu est un grand étang, dont l’eau est très-bonne à boire ; dans une autre partie sont des fontaines si abondantes, qu’elles forment un ruisseau d’eau vive qui s’échappe par la porte de la place ; et ses remparts renferment un si grand espace, que les habitants y cultivent des terres et y recueillent des fruits en abondance. » On le voit, cet établissement présente plutôt les caractères d’un vaste camp retranché que d’un château proprement dit.
  2. Expéd. des Normands, par M. Depping, liv. IV, chap. III. — Recherches sur le Haguedike et les prem. étab. milit. des Normands sur nos côtes. — Mém. de la Soc. des antiq. de Normandie, ann. 1831-33, par M. de Gerville.