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seul de ce plan fait voir que Richard n’avait nullement suivi les traditions normandes dans la construction du château Gaillard, et l’on ne peut douter que non-seulement les dispositions générales mais aussi les détails de la défense n’aient été ordonnés par ce prince. Cet ouvrage avancé très-important qui s’avance en coin vers la langue de terre rappelle les enceintes extérieures du donjon de la Roche-Guyon ; mais le fossé qui sépare cet ouvrage du corps de la place, qui l’isole complètement, les flanquements obtenus par les tours, appartiennent à Richard. Jusqu’alors les flanquements, dans les châteaux des XIe et XIIe siècles, sont faibles, autant que nous pouvons en juger ; les constructeurs paraissent s’être préoccupés de défendre leurs enceintes par l’épaisseur énorme des murs, bien plus que par de bons flanquements. Richard, le premier peut-être, avait cherché un système de défense des murailles indépendant de leur force de résistance passive. Avait-il rapporté d’Orient ces connaissances très-avancées pour son temps ? C’est ce qu’il nous est difficile de savoir. Était-ce un reste des traditions romaines[1] ?… Ou bien ce prince avait-il, à la suite d’observations pratiques, trouvé dans son propre génie les idées dont il fit alors une si remarquable application ?… C’est dans la dernière enceinte du château Gaillard, celle qui entoure le donjon des trois côtés nord, est et sud, que l’on peut surtout reconnaître la mise en pratique des idées ingénieuses de Richard.

Si nous jetons les yeux sur le plan fig. 11, nous remarquerons la confi-

    col. 1276.)--Hist. du chât. Gaillard, par A. Deville. C’était, comme le dit Guillaume Guiart,

    « Un des plus biaus chastiaus du monde
    « Et des plus forz, si com je cuide,
    « Au deviser mist grant estuide (Richard)
    « Tuit cil qui le voïent le loent.
    « Trois paires de forz murs le cloent,
    « Et sont environ adossez
    « De trois paires de granz fossez
    « Là faiz on le plain de sayve,
    « Acisel, en roche nayve,
    « Ainz que li liens fu entaillez,
    « En fu maint biau deniers bailliez.
    « Ne croi, ne n’ai oï retraire,
    « Que nus homs féist fossez faire
    « En une espace si petite
    « Comme est la place desus dite,
    « Puis le tens au sage Mellin (l’enchanteur Merlin) ;
    « Qui coustassent tant estellin. »

    (Guill. Guiart, vers 3 202 et suiv.)

    Nous verrons tout à l’heure comment cette agglomération de défenses sur un petit espace fut précisément la cause, en grande partie, de la prise du château Gaillard.

  1. Jean de Marmoutier, moine chroniqueur du XIIe siècle, raconte que Geoffroy Plantagenet, grand-père de Richard Cœur de Lion, assiégeant un certain château fort, étudiait le traité de Végèce.