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trons plus au public que des apparences. Nous simulons la pierre avec des enduits ou du ciment, le marbre et le bois avec de la peinture. Ces voussures que vous croyez en pierre sculptée ne sont qu’un plâtrage sur des lattes ; ces panneaux de chêne, ce sont des planches de sapin recouvertes de pâtes et d’une couche de décoration ; ces pilastres de marbre et d’or, qui paraissent porter une corniche et soutenir un plafond, sont des plaques de plâtre accrochées au mur chargé de leur poids inutile. Ces caissons du plafond lui-même, qui nous représentent des compartiments de menuiserie, ne sont autre chose que des enduits moulurés suspendus par des crampons de fer à un grossier plancher qui n’a nul rapport avec cette décoration ; si bien que, dans cette salle où vous croyez voir la main-d’œuvre le disputer à la richesse de la matière, tout est mensonge. Ces piliers qui paraissent porter sont eux-mêmes accrochés comme des tableaux ; ces arcs masquent des plates-bandes en bois ou en fer ; cette voûte est suspendue à un plancher qu’elle fatigue ; ces colonnes de marbre sont des cylindres de stuc revêtant des poteaux. L’artiste, dites-vous, est homme de goût ; oui, si c’est faire preuve de goût de se moquer de vous et de tromper le public sur la qualité de l’œuvre.

Comment procédaient cependant ces artistes du moyen âge en France, accusés de mauvais goût par les beaux-esprits des XVIIe et XVIIIe siècles, peu connaisseurs en architecture, et par nos débiles écoles modernes, copiant avec du carton et du plâtre les robustes splendeurs de ces derniers siècles, et tombant, de contrefaçons en contrefaçons, par ennui et fatigue, par défaut de principes et de convictions, jusqu’à l’imitation du style du temps de Louis XVI, comme si l’art de ce temps d’affaissement possédait un style ? comme si, pour en venir à cette triste extrémité, il était nécessaire d’envoyer nos jeunes architectes à Rome et à Athènes s’inspirer des arts de l’antiquité ?

Leur première loi était la sincérité. Avaient-ils de la pierre, du bois, du métal, des stucs à mettre en œuvre ? ils donnaient à chacune de ces matières la structure, la forme et la décoration qui pouvaient leur convenir ; et, lors même qu’ils tentaient d’imposer à l’une de ces matières des formes empruntées à d’autres, le goût leur traçait les limites qu’on ne saurait dépasser, car jamais ils ne cherchaient à tromper sur l’apparence. On peut bien trouver que telle rose, tels meneaux sont délicatement travaillés : personne ne prendra une rose en pierre, des meneaux en pierre pour du bois ou du fer ; encore ces détails des édifices religieux ne sont-ils que des claires-voies, des accessoires qui ne tiennent pas à la véritable structure, on le reconnaît sans être architecte. Pour eux, une salle est une salle ; une maison, une maison ; un palais, un palais ; une église, une église ; un château, un château ; et jamais il ne leur serait venu à l’esprit de donner à un édifice municipal la silhouette d’une église en manière de pendant, pour amuser les badauds, grands amateurs de la symétrie. Font-ils couvrir cette salle d’un berceau en bois ? c’est bien un lambris que nous voyons, non point le simulacre d’une voûte en maçon-