Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 6.djvu/43

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[goût]
— 40 —

que le sentiment seul comprend et qu’aucune analyse ne peut démontrer », mais au contraire le résultat de bonnes traditions, du savoir, de vues générales, justes et larges en même temps, résultat dont les causes comme les effets peuvent être démontrés. C’est bien plutôt dans les dispositions d’ensemble que les architectes du XVIIe siècle montrent leur goût que dans l’exécution des détails. Par le fait, le goût se manifeste dans tout, préside à tout, au milieu des civilisations qui sont dans les conditions propres à son développement. Il y a autant de goût dans la composition et l’ordonnance du Parthénon, dans la manière dont il est planté sur l’Acropole d’Athènes, que dans le tracé et l’exécution des profils et des sculptures.

Voyons maintenant comment les artistes du moyen âge, en France, ont manifesté cette qualité essentielle. Ainsi que nous l’avons dit plus haut, le vrai est la première condition du goût. Les architectes de ces temps possèdent de la brique pour bâtir, leur construction ne simulera pas un édifice en pierre de taille ; ils adopteront, non-seulement la structure, mais la décoration que peut fournir la brique ; ils éviteront, dans les bandeaux et les corniches, les fortes saillies ; ce ne sera pas par la sculpture qu’ils produiront de l’effet, mais par les masses que donnent naturellement des parements de terre-cuite revêtissant un blocage. Aussi les monuments de brique élevés par les architectes du moyen âge rappellent-ils certaines constructions romaines du temps de l’Empire ; employant les mêmes procédés, ils étaient entraînés à rappeler les mêmes formes, bien qu’alors les habitudes des constructeurs fussent très-différentes de celles des Romains. Ils font ressortir la grandeur de ces masses simples par des cordons délicats mais très-accentués dans leurs détails, ainsi qu’on peut les composer avec des briques posées sur l’angle et en encorbellement. S’ils mêlent la pierre à la brique, et si la pierre est rare, ils ne l’emploieront que pour des colonnes monostyles, des chapiteaux, des tablettes de corniches, des corbeaux sculptés, des appuis de fenêtres, des jambages et des archivoltes. Plus la matière est chère, plus ils sauront en rehausser le prix par la main-d’œuvre. Économes de matériaux (ce qui est encore une preuve de goût), ils ne les prodigueront pas inutilement, les choisissant suivant la fonction qu’ils doivent remplir, la place qu’ils doivent occuper. Dans un même édifice, nous verrons des colonnes monostyles, dont le transport, la taille et la pose ont dû demander beaucoup de temps, de soins et de peine, porter des constructions en petits matériaux, montés et posés à la main. Observateurs fidèles des principes de leur construction[1], ils voudront que ces principes soient apparents ; leur appareil n’est pas seulement une science, c’est un art qui veut être apprécié, qui s’adresse aux yeux, explique à tous les procédés employés sans qu’il soit nécessaire d’être initié aux secrets du praticien. Jamais la construction ne dissimule ses moyens ; elle ne paraît être que ce qu’elle est. Aussi (et c’est là une

  1. Voy. Construction.