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[goût]
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des beaux-arts[1], la faculté qu’on appelle le goût s’exerce principalement sur les qualités agréables, sur le choix d’une certaine manière d’être ou de faire que le sentiment seul comprend, et qu’aucune analyse ne peut démontrer. » Voilà qui est embarrassant, et c’est le cas de dire : « On ne peut disputer des goûts », puisqu’on ne peut démontrer s’il existe ou n’existe pas. Et plus loin : « Le goût n’est pas celui qui, dans la composition, fait découvrir ces grands partis d’ordonnance, ces lignes heureuses, ces masses imposantes qui saisissent à la fois l’esprit et les yeux ; mais ce sera lui souvent qui mêlera à ces combinaisons l’attrait de la facilité, d’où résultera l’apparence d’une création spontanée. » Ainsi nous voyons que, pour un des auteurs les plus distingués qui ont écrit sur l’art de l’architecture au commencement de ce siècle, le goût est insaisissable ; il ne préside point à l’ordonnance générale, il n’est appelé par l’artiste que quand l’œuvre est conçue et qu’il ne s’agit plus que de lui donner un tour attrayant, c’est-à-dire lorsqu’il faut, en bon français, la soumettre aux exigences de la mode du jour. C’était bien la peine de parler et d’écrire sur le goût pendant deux siècles, de fonder des académies destinées à maintenir les règles du goût, pour en arriver à cette conclusion : « L’attrait de la facilité… une manière d’être et de faire que le sentiment seul comprend ! »

Rapetissant le goût à ces maigres et fugitives fonctions, on a dû nécessairement rapetisser ceux qui sont considérés comme les dépositaires du goût. Aussi, les architectes ont vu bientôt une certaine partie des édifices publics sortir de leurs mains, puisque le goût n’avait rien à voir dans « les grands partis d’ordonnance, les masses imposantes. » On a pensé que leur concours était inutile s’il s’agissait de bâtir des ponts, d’élever des quais, de faire de grands travaux de terrassement, des casernes, des ouvrages militaires. Et si le public trouve la plupart de ces bâtisses laides, disgracieuses, barbares même, on peut dire que le goût n’entre pour rien là-dedans, et que lui, public, n’a point à l’y chercher. Eh bien, nos architectes du moyen âge, d’accord avec le public de leur temps, croyaient que le goût se dévoile aussi bien dans la construction d’un pont et d’une forteresse que dans l’ornementation d’une chapelle ou d’une chambre à coucher ; pour eux, le goût présidait à la conception, aux dispositions d’ensemble, aussi bien qu’aux détails de l’architecture, et l’on pourra reconnaître même que cette qualité générale en matière de goût se retrouve jusque pendant le XVIIe siècle. Il suffit de voir comme étaient conçus les châteaux de Vaux, de Maison, de Coulommiers, du Rincy, de Berny, de Versailles, de Monceaux, de Saint-Germain, de Chantilly, leurs parcs et dépendances, pour s’assurer que le goût, chez les architectes qui ont présidé à la construction et à l’arrangement de ces résidences, n’était pas seulement une qualité s’attachant aux détails, un tour indéfinissable

  1. Qu’est-ce que l’imitation des beaux-arts ? L’auteur veut-il parler des arts d’imitation ou de l’imitation de la nature dans l’art ?