Page:Visan - Paysages introspectifs, 1904.djvu/192

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Que reniflait de loin la narine entr’ouverte
Du chèvre-pied gourmand et du faune brutal,
Avaient couvert mon dos d’aiguilles de cristal,
Comme pour me garder vierge dans ma simplesse
Et ceint mon cuir bruni d’une cuirasse épaisse.
Libre dans mon domaine, invincible et méchant ;
Sourd aux flûtes de Pan et sourd à tous les chants
De l’âme végétale éparse en la Nature,
Trop faible cependant pour franchir la clôture
De la mer visuelle et des bois relatifs,
Je galopais alors, joyeux, bien que captif
Des liens apparents et pesants de matière,
À travers les taillis des mondes sans frontières.
Les marais ont gardé ma trace, et mes sabots,
Durcis aux pentes des rochers et des îlots,
Se sont dorés au sable aurifère des Ganges.
J’ai baigné mon poitrail tout encroûté de fange,
Dans les cryptes du Nord où pendent les lichens ;
Et pour me délasser, couché dans les gramens,
En un lit tavelé d’orchis et d’anémones,
Je humais doucement l’arôme de Pomone,
Et je regardais battre en un demi-sommeil
Mes deux flancs écumeux qui fumaient au soleil.