Page:Vogüé - Histoire orientales, 1880.djvu/114

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débattre ma valeur. On demandait cher de moi, parce que je parlais la langue arabe, étant de Syrie, et qu’on me croyait habile aux travaux de la mer. Il vint enfin un gros marchand de Mansourah qui donna le prix demandé et me plaça comme réïs sur une de ses dahabiehs. Durant une année, ma vie se passa à remonter ou à descendre le Nil avec les chargements de coton et de dattes, penché jour et nuit sur la barre de mon gouvernail. J’aurais pu trouver plus dur maître et plus dur métier, c’est vrai ; mais, vois-tu, le grand mal de l’esclave, c’est qu’avec son corps le maître a acheté son espérance ; et il faut avoir été esclave pour savoir quelle misère c’est de manger de ce pain-là. Pourtant comme il est sage de se résigner aux choses qui arrivent, je m’étais habitué peu à peu à l’idée de voir finir mes jours tous semblables, comme les palmiers de la berge qui disparaissaient derrière moi. C’est alors qu’un hasard heureux vint rouvrir ma vie fermée.

Un soir que nous étions mouillés à Louqsor, nous vîmes accourir des cavass qui éveillèrent brusquement le maître et réquisitionnèrent sa dahabieh pour Ibrahim, le fils du pacha d’Égypte ; comme le prince remontait le Nil, se rendant à Assouan, sa barque s’était ensablée au-dessous de nous, et il envoyait chercher pour la remplacer la première qu’on trouverait au village. C’est ainsi que je devins pour un temps le réïs du propre fils