Page:Vogüé - Histoire orientales, 1880.djvu/116

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de Morée, il me semblait entrer dans un conte. Je suivis Ibrahim, qui allait saluer son père au Séraï ; quand je vis Méhémet-Ali, je compris qu’Ali de Tépélen n’avait été qu’un brigand heureux, mais que celui-ci était vraiment un prince de la terre. On sentait la force et la raison dans tout ce qu’il disait, l’attachement et le respect chez tous ceux qui l’entouraient. Le pays était riche, vivant, fertile en choses nouvelles, comme le limon du Nil en moissons. Les Européens y arrivaient de toutes parts, apportant leur science et leur or. Tu as dû entendre dire que Méhémet-Ali fut un maître cruel et sanguinaire ; mais tous ceux qui ont connu l’Égypte d’alors savent bien qu’il fallait une main de fer pour le travail entrepris par le grand pacha ; si l’on partage en deux poids le mal qu’il fit à ses ennemis et le bien qu’il fit au pays, c’est ce dernier qui emportera la balance. Ainsi en a jugé la reconnaissance de tous les hommes sages qui l’ont vu à l’œuvre. Mais ce n’est pas l’affaire d’une chétive créature comme moi de prononcer sur les princes, et je m’en tiens à mon humble histoire.

Ibrahim, moins énergique que son père, était doux et juste ; chacun s’attachait à lui. J’entrais toujours plus avant dans sa confiance. Mon emploi était de lui apporter les pipes et le café ; chez nous, tu le sais, le pauvre esclave qui sert ainsi le maître est souvent plus près de son esprit que les beys qui s’assoient à côté de lui. Après trois années passées