Page:Vogüé - Histoire orientales, 1880.djvu/98

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promesse du Turc et sortit de la tour pour aller loger dans une petite maison de bois, sur l’île de Satiras. Nous n’étions plus qu’une douzaine autour de lui : se sentant malade et croyant que je pouvais le guérir, il ne me laissait pas m’éloigner ; cet homme que j’avais vu si brave avait peur de mourir de son mal comme une femme.

Nous étions là depuis quelques jours, quand on vint l’avertir que, malgré leurs promesses, les Turcs se préparaient à se saisir de lui. Aussitôt le vieux lion sembla renaître et redevenir lui-même : son œil éteint se ralluma, il demanda ses armes, fit ranger les Albanais autour de lui et attendit fermement les janissaires. Quand ceux-ci arrivèrent, Méhémed-Pacha réclama Ali de Tépélen. ― « Viens le prendre », lui cria Ali, et il reçut la troupe à coups de fusil. Devant l’effort des assaillants, on dut bientôt quitter la chambre basse où les soldats entraient de toutes parts et monter à l’étage supérieur par un étroit petit escalier de bois ; là cinq ou six hommes qui restaient au pacha purent tenir près d’une heure en défendant l’escalier. Les balles trouaient le mince plancher, et tu peux voir aujourd’hui encore à Janina leurs traces sur le mur de cette maison. J’étais réfugié, dans un angle de la pièce d’où je vis, quand l’escalier fut pris, le vieux maître de l’Épire, blessé et sanglant, se défendant toujours, venir tomber derrière le divan où on l’acheva à coups de yatagan.