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Page:Voiture - Lettres, t. 1, éd. Uzanne, 1880.djvu/38

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AU LECTEUR

moins aussi considérables, et capables toutes seules de le tirer du commun et de le faire passer pour un des ornemens de son siècle. Il avoit plusieurs talens advantageux dans le commerce du monde, et entr’autres ceux de reüssir admirablement en conversation familière, et d’accompagner d’une grâce qui n’estoit pas ordinaire tout ce qu’il vouloit faire ou qu’il vouloit dire. Il avoit la parole agréable, la rencontre heureuse, la contenance bien composée ; et, quoy qu’il fust petit et d’une complexion délicate, il estoit fort bien fait et extrêmement propre sur soy. Encore qu’il ait passé la meilleure partie de sa vie dans les divertissemens de la Cour, il ne laissoit pas d’avoir beaucoup d’estude et de connoissance des bons autheurs ; il possedoit bien ce qu’on appelle les belles lettres, et ce qui l’a fait valoir davantage est qu’il en sçavoit, autant que personne, le droit usage, et avoit une grande adresse à s’en servir. Quand il traittoit de quelque poinct de science, ou qu’il donnoit son jugement de quelque opinion, il le faisoit avec beaucoup de plaisir de ceux qui l’écoutoient, d’autant plus qu’il s’y prenoit tousjours d’une manière galante, enjoüée, et qui ne sentoit point le chagrin et la contention de l’escole. Il entendoit la belle raillerie et tournoit agréablement en jeu les entretiens les plus sérieux. Cette merveilleuse adresse d’esprit l’a fait bien accueillir des premiers seigneurs de la Cour et des princes mesmes. Il avoit une noble hardiesse à se produire, tempérée d’une douceur et d’une civilité polie, avec laquelle il sçavoit se demesler judicieusement de la compagnie du grand monde ; et en cela particulièrement il a réussi, et a esté du pair avec les plus galans hommes de son temps. Il s’est trouvé pourveu par la nature de lettres de faveur et de je ne sçay quel caractère qui l’a fait chérir et honorer des plus grands, au delà de sa condition, et l’on peut dire de luy que l’on n’a jamais veu de courtisan de sa sorte le porter si haut qu’il l’a porté, puis qu’estant d’une naissance médiocre, il est mort entre les plus grandes connoissances et les plus célèbres amitiez de la Cour. Monsieur le cardinal de la Valette a esté un des premiers qui l’ait poussé auprès des princes et des princesses. Il estoit dès-lors introducteur des ambassadeurs près Son Altesse Royale, et, tant par cette qualité que pour son propre me-