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Page:Voiture - Lettres, t. 1, éd. Uzanne, 1880.djvu/39

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AU LECTEUR

rite, il n’auroit point manqué d’emplois s’il eust voulu s’appliquer aux affaires. Mais il estoit né pour d’autres choses, et c’eust esté dommage pour la gloire des Muses et l’entretien des honnestes gens de son siècle, qu’il s’y fust adonné tout entier. Il n’a pas laissé d’avoir quelques emplois assez honorables : il a esté long temps à la Cour d’Espagne, par l’ordre et pour les affaires de son maistre, monseigneur le duc d’Orléans, où il a entretenu familièrement le comte-duc d’Olivarès et d’autres grands d’Espagne, qui faisoient un particulier estât de son esprit. Comme il avoit tousjours aimé la langue du païs, et qu’il y avoit fait un autre voyage, il la possedoit si bien qu’il y fît des vers espagnols qui furent pris pour estre de Lopé, un de leurs plus excellens autheurs. Il a encore esté envoyé par le feu roy vers le grand-duc pour la naissance du roy d’à-présent ; et ces deux voyages achevèrent de le confirmer dans la connoissance qu’il avoit desja des langues espagnole et italienne, qu’il a très-bien entendües. Il auroit pû obtenir assez d’autres commissions honorables ; mais l’amour qu’il a tousjours eu pour les lettres ne luy a pas permis de se charger de plus grandes occupations pour les affaires, ausquelles il a préféré le repos. Il a tousjours aimé naturellement les gens d’esprit et de sçavoir, de quelque qualité qu’ils fussent, et en a esté pareillement aimé. Entre les personnes de condition et employez aujourd’huy dans le ministère de l’Estat, monsieur d’Avaux a jetté le premier fondement de sa réputation, qui, appuyée sur un homme d’un jugement si exquis et d’une vertu si eminente et si généralement approuvée, ne pouvoit manquer de se soûtenir. Depuis, monsieur de Chavigny n’a pas peu contribué à l’establir par les marques d’estime qu’il luy a données. Messieurs les mareschaux de Schomberg et de Grammont l’ont honoré d’une amitié très-estroite ; et, pour monter plus haut, feu monseigneur le Prince et toute sa maison luy a encore fait l’honneur de le voir de bon œil. Monseigneur le Prince d’aujourd’huy l’a aimé et escouté souvent avec plaisir, et, comme tu verras par ses lettres, luy a donné la liberté de luy escrire souvent avec beaucoup de familiarité. Monseigneur le prince de Conty commençoit aussi à le goûter bien fort, sans oublier icy l’estime que monseigneur le