Aller au contenu

Page:Voiture - Lettres, t. 1, éd. Uzanne, 1880.djvu/48

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
12
LETTRES

Et certes, en cela au moins, estes-vous bien juste que, ne voulant me donner pour toute l’affection que vous me devez que des paroles, vous les avez choisies si riches et si belles que, sans mentir, je suis en doute si les effets valent beaucoup mieux. Je croy certainement que toute autre amitié que la mienne en seroit bien payée. Il me deplaist seulement que tant d’artifice et d’éloquence ne me puissent déguiser la vérité, et qu’en cela je ressemble à vos bergères, qui sont trop grossières pour estre trompées par un habile homme. Mais pardonnez-moy si je me défie de cette science, qui peut trouver des loüanges pour la fièvre quarte et pour Néron, et que je connois estre plus puissante en vous qu’elle ne fut jamais en personne. Toutes ces gentillesses que j’admire dans vostre lettre me sont des preuves de vostre bon esprit plustost que de vostre bonne volonté, et, de tant de belles choses que vous avez dites à mon avantage, tout ce que j’en puis croire pour me flater, c’est que la Fortune m’ait donné quelque part en vos songes. Encore je ne sçay si les resveries d’une ame si relevée que la vostre ne sont pas trop sérieuses et trop raisonnables pour descendre jusqu’à moy ; et je m’estimeray trop favorablement traitté de vous si vous avez seulement songé que vous m’aimiez : Car, de m’imaginer que vous m’ayez gardé quelque place parmy ces grandes pensées qui sont occupées à cette heure à faire les partages de la gloire et à donner recompense à toutes les vertus du monde, j’ay trop bonne opinion de vostre esprit pour m’en