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Page:Voiture - Lettres, t. 1, éd. Uzanne, 1880.djvu/49

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persuader cette bassesse, et je ne voudrois pas que vos ennemis eussent cela à vous reprocher. Je sçay bien que la seule affection que vous puissiez avoir justement est celle que vous vous devez ; et ce précepte de se connoistre soy-mesme, qui est pour tous les autres une leçon d’humilité, doit avoir pour vostre regard un effet tout contraire, et vous oblige de mépriser tout ce qui est hors de vous. Aussi je vous jure que, sans prétendre aucune part en vostre amitié, je me fusse contenté que vous eussiez voulu conserver avec quelque soin celle que je vous avois vouée, et que vous l’eussiez mise sinon entre les choses que vous estimiez, au moins entre celles que vous ne voulez pas perdre. Mais, pour m’avoir icy laissé auprès de cette belle rivale dont vous me parlez, sans mentir, vous n’avez pas esté assez jaloux ; et vous luy donnez tant d’avantage que j’ay quelque raison de croire que vous vous estes entendu avec elle à me nuire. Et en cela, ce me semble, je me dois plaindre avec plus de raison que vous de ce qu’elle s’est enrichie de vos pertes, et que vous luy avez laissé gagner ce que je pensois avoir sauvé de sa tyrannie en le mettant entre vos mains. Pour peu de défense que vous eussiez voulu apporter, la meilleure partie de moy-mesme vous resteroit encore ; et par vostre négligence vous l’avez rendüe en son pouvoir, et vous luy avez permis d’avancer tellement ses conquestes sur moy que, quand je vous aurois donné tout ce qui me reste, vous n’auriez pas la moitié de ce que vous avez perdu. Je vous asseure neantmoins que,