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Page:Voiture - Lettres, t. 1, éd. Uzanne, 1880.djvu/53

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conter. Vous sçaurez donc, Monseigneur, que, le dimanche vingt-unième du mois passé, environ sur les douze heures de la nuit, le roy et la reine sa mère estant assemblez avec toute la Cour, on vid en l’un des bouts de la grande salle du Louvre, où rien n’avoit paru auparavant, éclater tout à coup une grande clarté, et paroistre en mesme temps, entre une infinité de lumières, une troupe de dames toutes couvertes d’or et de pierreries, et qui sembloient ne faire que de descendre du ciel ; mais particulièrement l’une d’elles estoit aussi aisée à remarquer entre les autres que si elle eust esté toute seule, et je croy certainement que les yeux des hommes n’ont jamais rien veu de si beau : c’estoit celle-là mesme, Monseigneur, qui en une autre rencontre avoit esté tant admirée sous le nom et les habits de Pyrame, et qui une autre fois s’apparut dans les roches de Rambouillet avec l’arc et le visage de Diane. Mais ne pensez pas vous imaginer plus de la moitié de sa beauté, si vous ne vous figurez que celle que vous luy avez veuë ; et sçachez que cette nuit-là les fées avoient répandu sur elle ces beautez et ces grâces secrettes qui mettent de la différence entre les femmes et les déesses. Mais, lors qu’elle eut pris le masque, en mesme temps que les autres le prirent, pour commencer le ballet qu’elles vouloient représenter, et qu’ainsi elle eut perdu l’avantage que son visage lui donnoit sur elles, sa taille et sa bonne grâce la rendirent aussi recommandable qu’auparavant ; et, en quelque lieu qu’elle tournast ses pas, elle tiroit