Page:Volney - Les Ruines, 1826.djvu/50

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et le lit encaissé du Jourdain, et les canaux du Nil solitaire… ô génie, dis-je en l’interrompant, la vue d’un mortel n’atteint pas à ces objets dans un tel éloignement… aussitôt, m’ayant touché la vue, mes yeux devinrent plus perçans que ceux de l’aigle, et cependant les fleuves ne me parurent encore que des rubans sinueux, les montagnes que des sillons tortueux, et les villes que de petits compartimens semblables à des cases d’échecs. Et le génie me détaillant et m’indiquant du doigt les objets : ces monceaux, me dit-il, que tu aperçois dans cette vallée étroite que le Nil arrose, sont les restes des villes opulentes, dont s’enorgueillissait l’antique royaume d’éthiopie. Voilà les débris de sa métropole, Thèbes aux cent palais, l’aïeule des cités, monument d’un destin bizarre. C’est là qu’un peuple maintenant oublié, alors que tous les autres étaient barbares, découvrait les élémens des sciences et des arts ; et qu’une race d’hommes aujourd’hui rebut de la société, parce qu’ils ont les cheveux crépus et la peau noire, fondait sur l’étude des lois de la nature des systèmes civils et religieux qui régissent encore l’univers. Plus bas, ces points gris sont les pyramides, dont les masses t’ont épouvanté : au-delà, ce rivage que serrent la mer et un sillon d’étroites montagnes, fut le séjour des peuples phéniciens ; là, furent les villes puissantes de Tyr, de Sidon, d’Ascalon, de Gaze et de Beryte. Ce filet d’eau sans issue est le fleuve du Jourdain, et ces rochers arides furent jadis le théâtre d’événemens qui ont rempli le monde. Voilà ce désert d’Oreb et ce mont-Sinaï, où, par des moyens qu’ignore le vulgaire, un homme profond et hardi fonda des institutions qui ont influé sur l’espèce